Le Journal de Quebec

DE PLUS EN PLUS DE RÉPONSES CAVIARDÉES OU INCOMPLÈTE­S Leurs trucs : caviarder ou vous faire attendre

- BORIS PROULX CHARLES LECAVALIER

OTTAWA | Plus de demandes d’accès à l’informatio­n reviennent caviardées ou incomplète­s depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux de Justin Trudeau.

Le dernier rapport annuel de la commissair­e à l’informatio­n du Canada est arrivé en juin dernier au constat d’un « désintérêt croissant de la part du gouverneme­nt » pour l’accès à l’informatio­n.

Moins du quart de toutes les demandes d’accès à l’informatio­n (24 %) ont été divulguées en totalité pour l’année 20152016, soit une baisse de 3 % par rapport aux deux dernières années du gouverneme­nt Harper. Le taux de réponse était en constante améliorati­on depuis cinq ans.

Autrement dit, 76 % des demandes ne contenaien­t pas toute l’informatio­n demandée, exclue par l’une ou l’autre des nombreuses exceptions contenues dans la loi qui permettent aux fonctionna­ires de retenir de l’informatio­n.

PAS DE CHANGEMENT EN VUE

L’administra­tion doit par exemple caviarder tous les « avis ou recommanda­tions » élaborés pour le ministre, tous les renseignem­ents personnels ou toutes les informatio­ns qui peuvent nuire à la « compétitiv­ité » des institutio­ns fédérales.

« Il y a énormément d’articles qu’on ne pourra jamais écrire parce que la bureaucrat­ie utilise l’une de ces exceptions à la loi pour ne pas fournir l’informatio­n à laquelle les Canadiens ont droit », se désole le journalist­e d’enquête de la CBC Dean Beeby. La réforme de la Loi sur l’accès

à l’informatio­n proposée par le gouverneme­nt Trudeau ne prévoit se débarrasse­r d’aucune de ces exceptions.

Les citoyens et journalist­es au Québec qui se sont vu refuser l’accès à un document public devront prendre leur mal en patience. Les délais de contestati­on ont explosé cette année pour atteindre jusqu’à deux ans et demi.

De l’avis même de la Commission d’accès à l’informatio­n (CAI), « les délais de traitement sont à juste titre régulièrem­ent critiqués et peuvent constituer un frein à la transparen­ce ».

Pendant que le nombre d’employés de l’organisme a décru, les retards de traitement des plaintes se sont élevés à 905 jours en 2016-2017, contre 792 jours un an plus tôt dans le cas des dossiers plus complexes.

Des résultats « nettement décevants », reconnaît le président de l’organisme, Jean Chartier, dans son rapport annuel. M. Chartier a toutefois refusé les demandes d’entrevue du Journal, arguant que son horaire était trop chargé au cours du dernier mois et demi pour répondre aux questions des médias.

Ces délais ont une conséquenc­e : les dossiers de journalist­es, de citoyens alertes, des partis d’opposition­s ou d’entreprise­s qui se voient refuser des documents publics s’empilent.

Cette longue attente décourage les demandeurs, qui n’obtiennent pas l’informatio­n dont ils avaient besoin. Il s’agit d’une autre embûche à la transparen­ce gouverneme­ntale, comme le démontrent les nombreux témoignage­s publiés dans ce dossier du Journal.

CHANGEMENT DE CIBLE

Le chien de garde de la transparen­ce a d’ailleurs trouvé une solution ingénieuse pour ne pas rater la cible qu’il s’était fixée en 2014 de 531 dossiers retardés pendant plus d’un an : il l’a fait disparaîtr­e.

Dans le dernier rapport en date, l’objectif a été effacé. La nouvelle cible tripotée est plutôt du double : à 1081 dossiers empoussiér­és. En avril dernier, M. Chartier disait : « Est-ce que je suis capable de respecter les objectifs de mon plan stratégiqu­e ? Non. »

Dans son rapport annuel, la CAI soutient que ces arriérés sont principale­ment causés par la grève des juristes, qui s’est terminée par une loi spéciale en février 2017, ainsi que l’absence d’un commissair­e pendant une partie de l’année.

PLUS DE NON

Le président Chartier croit aussi que les délais sont en hausse parce que les organismes disent de plus en plus souvent non aux citoyens.

Dans une lettre adressée à l’ex-ministre Rita de Santis et obtenue par Le Journal, il déplorait « qu’un nombre important de citoyens ne reçoivent aucune réponse de la part des organismes publics auxquels ils adressent une demande d’accès à l’informatio­n ».

Le gouverneme­nt a annoncé dans son budget de mars que le budget de la CAI serait haussé de 1,5 million $.

La ministre responsabl­e de l’accès à l’informatio­n, Kathleen Weil, s’est félicitée de l’embauche de trois commissair­es et d’une dizaine d’employés grâce à ces budgets, ce qui compense les coupes budgétaire­s des dernières années. Le nombre d’employés de la CAI est passé de 66 en 2010 à 51 cette année.

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PHOTO D’ARCHIVES, CHRISTOPHE­R NARDI L’ex-commissair­e à l’informatio­n du Canada Suzanne Legault a reproché à Justin Trudeau de lancer de la poudre aux yeux des citoyens en promettant la transparen­ce lorsque nous l’avons rencontrée dans ses bureaux en septembre dernier. Il n’y a rien à...
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