DU SAUMON POUR LES RICHES
Une modification réglementaire donne l’exclusivité de la pêche à cette espèce aux pourvoiries du Nord BUREAU PARLEMENTAIRE
Le gouvernement Couillard a conféré en douce l’exclusivité de la pêche au saumon au nord du Québec à une poignée de pourvoiries privées qui n’offrent que des forfaits coûtant près de 2000 $ par jour, et même plus.
Quarante ans après l’élimination des clubs privés par le gouvernement de René Lévesque, qui avait permis aux Québécois de retrouver le libre accès à leurs lacs et rivières pour pêcher, le gouvernement libéral vient de faire le contraire sur un territoire qui équivaut pratiquement au quart de la superficie du Québec.
« On est en train de se faire sortir du Nord », tonne Alain Cossette, directeur général de la Fédération des chasseurs et pêcheurs du Québec (Fédécp).
Les forfaits offerts par les pourvoiries du Nord sont très coûteux et peuvent atteindre 20 000 $ pour une semaine ( voir texte en page 4).
M. Cossette juge la décision inacceptable et estime que Québec recule sur un principe phare : la faune est un bien collectif.
« On donne le monopole aux pourvoiries, et on enlève le droit à des gens qui le faisaient à moindre coût, pas des gens riches, mais qui réussissent à se mettre un peu d’argent de côté pour réaliser leur rêve », ajoute-t-il.
M. Cossette assure que Québec a pris cette décision en catimini sans consulter personne, incluant sa fédération qui représente 125 000 membres. Cette affirmation est contestée par le ministère de la Faune et des Parcs, qui indique que la Fédération n’était pas présente lorsque la décision a été soumise à la table régionale de la faune, mais qu’un compte rendu lui a été envoyé.
CONSIDÉRATIONS FAUNIQUES ?
Le ministère justifie cette modification réglementaire diffusée sur son site internet en mars par une application plus stricte de la Convention de la BaieJames et du Nord québécois ainsi que par la nécessité d’obtenir une meilleure connaissance sur la santé de la population de saumon du Nunavik.
« Ce qui justifie réellement la décision, ce sont des considérations de nature faunique. C’est vraiment la raison d’être de la modification réglementaire », indique Laurie Beaupré, biologiste à la direction de la gestion de la faune du Nord-du-qué- bec du ministère.
Le statut du saumon atlantique est jugé « préoccupant » partout au Québec, sauf au Nunavik, car les données sur les captures n’y sont pas suffisantes.
« Les données des pêcheurs autonomes sont partielles et imprécises », affirme-t-elle. Les données des pourvoyeurs sont beaucoup plus fiables, ajoute-t-elle.
DUR À CROIRE
L’impact de ceux-ci ne semble pourtant pas très important. Depuis 2013, entre 9 et 23 pêcheurs indépendants ont enregistré des prises dans le nord du Québec. Le ministère reconnaît qu’aucune analyse d’impact économique n’a été effectuée.
Alain Cossette ne croit pas à cette version.
« Le ministère se dirige de plus en plus vers l’auto-enregistrement, mais dans le cas du saumon du Nord, ce n’est pas fiable ? Je tombe en bas de ma chaise », dénonce-t-il. Il ajoute que le nombre de captures dans le Nord est « minime » et qu’il « n’a pas d’incidence » sur la population de saumon.
D’ailleurs, il est toujours permis de capturer un maximum de quatre saumons dans les rivières du Nord comparative- ment à un seul dans celles du Sud.
La modification réglementaire touche la zone de pêche qui couvre la moitié Nord-du-québec. Elle n’est accessible qu’en avion ou en hélicoptère.
PRIVATISATION
Gilles Jean, président de l’association des pilotes de brousse du Québec, estime qu’un tiers de ses membres sont équipés pour aller sur ce territoire sauvage, et plusieurs d’entre eux pratiquent la pêche au saumon.
Il est furieux et croit qu’on assiste à une reprivatisation des territoires de pêche. « C’est un premier pas vers un Nord exclusif géré par un petit nombre de pourvoyeurs. Après, ça va être quoi? La pêche sur tous les lacs? C’est un précédent qui nous dérange beaucoup », dénonce-t-il.
Gilles Dubé pêche pour sa part le saumon dans les rivières du Nord depuis une dizaine d’années. Il partage la facture d’essence avec une amie qui possède un hydravion. Un voyage lui coûte environ 1500 $.
« Pour moi, c’est la fin, lance-t-il. Je n’aurai jamais les moyens de me payer un voyage en pourvoirie. »
M. Dubé estime que ces pourvoiries sont parfois des clubs privés et qu’à moins d’avoir des contacts, il est impossible d’y avoir une place.
« À l’époque, on a “déclubé” la pêche, là on assiste à une reprivatisation », déplore-t-il.