Michel Gauthier : l’apôtre du réalisme politique
Les militants québécois du Parti conservateur du Canada ont convergé à Saint-hyacinthe, en ce samedi 12 mai, pour leur conseil général.
Ils étaient loin de se douter que Michel Gauthier, un souverainiste de la première heure, ancien chef du Bloc québécois, de surcroît, s’inviterait à leur rassemblement. Un cadeau inespéré qui fera certainement bouger les plaques tectoniques de la configuration politique québécoise, au niveau fédéral.
C’est avec un réel enthousiasme qu’il a signé, devant les caméras de télévision, sa carte d’adhésion au Parti conservateur, un parti fédéraliste avec lequel il avait eu à en découdre, à une époque où le clivage souverainiste-fédéraliste était dominant.
Après 11 ans d’hibernation politique, il refait surface, là où on ne l’attendait pas, avec un parti fédéraliste, et pas n’importe lequel, un parti de droite.
Je me suis entretenue avec lui.
Vous avez annoncé, aujourd’hui, que vous avez joint le Parti conservateur du Canada. Vous avez pris votre carte de membre, de façon ostentatoire, et déclaré que vous allez y militer sans être candidat à la prochaine élection. C’est une grosse décision pour quelqu’un qui a déjà été député du Parti québécois et chef du Bloc québécois. Qu’est-ce qui s’est passé ? Avezvous abandonné la souveraineté ? C’est la souveraineté qui nous a abandonnés. J’ai vécu à une époque où on militait pour gagner des appuis à la souveraineté. On en a gagné jusqu’à 50 %, au dernier référendum. Mais depuis ce temps-là, que s’est-il passé ? L’appui à la souveraineté a constamment baissé, c’est la faute à qui ? Je ne le sais pas. Mais c’est un fait, c’est rendu à 32-34 %, aujourd’hui.
Comment expliquez-vous cette chute de l’appui à la souveraineté ? Je constate que le référendum, qui était à l’époque pour nos troupes un élément de motivation, est devenu un outil poli- tique que nos adversaires brandissent pour convaincre les gens de voter contre le Parti québécois. C’est tellement vrai que Jean-françois Lisée a tout fait pour le renvoyer dans un deuxième mandat, sachant qu’il ne peut pas ambitionner d’être élu en traînant le poids d’un autre référendum. Mme Marois en sait quelque chose. De fait, le référendum est devenu un argument massue pour les adversaires, les électeurs sont rendus ailleurs, et moi, ce qui m’a frappé le plus – j’ai des petits-enfants –, ce sont les jeunes.
Vous pensez que les jeunes ont abandonné la souveraineté ? Autrefois, quand j’avais commencé en politique, 80 % des jeunes qui avaient le droit de vote étaient souverainistes, il s’agissait de les garder, on en perdait quelques-uns, mais c’était très fort. À telle enseigne que Bernard Landry avait dit que ce n’était qu’une question de démographie. Les vieux allaient partir et les jeunes arriveront. Dans quelques années, disait-il, on va avoir la majorité. Il n’y avait rien de plus présomptueux. Dans les faits, on ne les a plus les jeunes, ils sont internationaux, ils sont mondiaux, ils sont ouverts à la planète, ils ne sont pas centrés sur l’histoire, comme on l’était. Bref, on voit que les choses ont changé.
C’est facile de faire porter le fardeau aux jeunes. Qu’est-ce qui explique réellement ce désamour des Québécois à l’égard de la souveraineté ? Il faut interroger le mouvement souverainiste lui-même. Qu’est-ce qu’il a produit comme projet pour faire la pédagogie de la souveraineté ? C’est beau de dire je suis souverainiste, mais si tu n’écris rien, tu ne produis rien. Il ne faut pas s’étonner de la voir péricliter.
Si, il y a un Institut sur la souveraineté qui a été créé, en 2016, appuyé par Pierre Karl Péladeau et dirigé par le constitutionnaliste Daniel Turp. Oui, mais c’est venu trop tard et on n’a encore rien vu de ses travaux. Nous verrons pour la suite. Il y en a d’autres qui sont très militants et qui se disent très souverainistes. Qu’ontils produit ces gens-là ? Le message que je veux leur livrer est le suivant : je vous donne le droit de me critiquer, pourvu que vous fassiez votre examen de conscience. Asseyez-vous devant une feuille blanche et écrivez ce qu’a été, de façon concrète, votre contribu- tion à la pédagogie de la souveraineté.
Je comprends que vous soyez déçu du mouvement souverainiste, mais avouez que le saut que vous faites avec le Parti conservateur peut en choquer plusieurs. Moi, je me dis, étant donné que le référendum est devenu un boulet, étant donné que nous n’avons pas la masse critique pour même penser faire un référendum, le Québec ne peut pas se dire NON une troisième fois. Moi, j’aime le Québec. Sur le plan international, ça serait terrible. En 40 ans, le Québec se disant NON trois fois. Vous êtes tellement internationale vousmême, vous le savez bien. Au plan canadien, on ne peut pas jouer à la roulette russe avec les autres, à répétition. Et pour le peuple québécois qui se dirait NON encore une fois, il y aurait un sentiment de dévalorisation extrêmement grave, une déprime post-référendaire qui dépasserait, à mon avis, tout ce que nous avons vécu jusqu’ici. Donc, ça serait un drame qu’on force la tenue d’un autre référendum. Ceux qui se lèvent le matin et qui font leur incantation : « Je suis souverainiste et je le serai toujours, j’aime la patrie, j’aime le pays », j’en ai peur. Moi, je crains qu’un jour, on force la note et qu’on exige la tenue d’un référendum. Ça serait une catastrophe.
Vous êtes donc en train de crédibiliser la thèse de ceux qui pensent que la souveraineté, c’est l’affaire d’une génération ? Disons que je me suis beaucoup laissé flirter par cette idée, puis je considère que c’est probablement le cas, selon les indications que nous avons en ce moment. Je ne sais pas ce qui se passera après, mais pour maintenant, oui.