Forcé de partir à cause de sa langue
Un francophone unilingue est en cour pour dénoncer le harcèlement qu’il aurait subi de la GRC
OTTAWA | Un francophone vient de remporter une première bataille devant les tribunaux pour faire reconnaître le « harcèlement » que lui a fait subir la GRC. La police nationale l’aurait même poussé à partir parce qu’il ne maîtrisait pas suffisamment bien l’anglais.
« On m’a forcé à démissionner parce que mon anglais n’était pas assez bon [...] Je n’ai jamais commis une seule faute professionnelle », s’est insurgé Éric Frémy lors d’une entrevue avec Le Journal.
Le dédale administratif que vit cette ex-recrue de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) est « particulièrement tortueux », écrit le juge de la Cour fédérale Sébastien Grammond.
Ce dernier a exigé récemment qu’un arbitre se penche de nouveau sur la démission de M. Frémy afin de déterminer si elle « a été donnée sous la contrainte et [si] elle doit être déclarée invalide. [...] Trop d’éléments de preuve laissant croire que la démission de M. Frémy n’était pas volontaire ont été écartés par les arbitres [qui ont d’abord entendu la cause] ».
M. Frémy est un ingénieur de formation, né en France, mais ayant vécu une vingtaine d’années au Québec.
En 2007, il se joint à la GRC. Unilingue francophone, il dit qu’on l’avait assuré que le fait qu’il ne parlait pas anglais ne poserait aucun problème à la police nationale d’un pays dont le français est une langue officielle.
Après son passage à l’école de la GRC à Régina, la police a exigé qu’il intègre un nouveau projet pilote l’envoyant dans un régiment anglophone en Colombie-britannique pour suivre sa forma- tion pratique tout en apprenant l’anglais en 2009.
« C’ÉTAIT L’ENFER »
Des années plus tard, sa situation se gâte. À son retour de vacances en 2013, son patron lui demande de rendre son arme de service et son uniforme. Il est dorénavant affecté à des tâches administratives.
« On m’a carrément enlevé toutes mes responsabilités. J’arrivais au bureau le matin, et je restais assis à ne faire absolument rien toute la journée. C’était l’enfer. »
Dans de nombreux documents de cour consultés par Le Journal, des patrons et avocats de la police nationale lui font clairement comprendre que la GRC s’apprête à entamer le processus de congédiement s’il ne démissionne pas. La raison : son anglais n’est toujours pas assez bon.
« Qu’on me trouve un seul exemple d’un anglophone à qui on a demandé de démissionner parce qu’il ne parlait pas assez bien le français. Qu’on me trouve un seul exemple ! Ça n’existe pas », s’insurge M. Frémy qui travaille maintenant comme garde de sécurité dans la région d’ottawa.
DÉSAVANTAGÉ
Entre temps, il dépose une plainte au Commissaire aux langues officielles du Canada, qui tranche plus tard que « le fait d’exiger que le plaignant prenne part au programme pilote […] a constitué une violation catégorique de la Loi et a désavantagé le plaignant par rapport à ses homologues anglophones ».
Le « harcèlement psychologique » débute à cette époque, relate M. Frémy. Des mois durant, ses patrons lui répètent qu’il a deux choix : démissionner ou contester son congédiement imminent. En précisant que s’il choisit la seconde option, on l’empêcherait de travailler dans un autre corps policier, raconte-t-il. Il demande un transfert au Québec, ce qu’on lui refuse.
La veille de Noël 2013, il cède à la pression et rend sa démission, acceptant 11 mois de salaire en échange. Il regrette vite sa décision. Après les Fêtes, il écrit à la GRC, réclamant qu’on annule sa démission qui, à son avis, lui a été imposée.
« C’est un service de police qui est censé être au-dessus du plus haut standard qu’on puisse avoir. Mais qu’on traite un employé aussi mal et qu’on lui impose des représailles pour qu’il quitte son emploi parce qu’il ne parle pas suffisamment bien l’anglais, c’est inacceptable », martèle-t-il.
DES OMISSIONS
Lorsque la GRC refuse d’annuler la démission, l’ex-policier se tourne vers les tribunaux.
Tour à tour en 2016, deux arbitres ont rejeté ses arguments. Or, tout a changé la semaine dernière, quand la Cour fédérale a conclu que ces arbitres avaient omis de considérer de nombreux éléments de l’histoire qui pourraient laisser croire que M. Frémy aurait bel et bien été contraint de démissionner.
« Je suis très content du jugement de la Cour parce que ça fait quatre ans que je me bats avec la GRC. Tout ce que je veux, c’est de réintégrer la GRC et leur prouver qu’ils [ses supérieurs) avaient tort. Je veux qu’ils admettent qu’ils m’ont maltraité comme francophone et qu’ils réparent le problème », soupire-t-il.
« AUSSI QU’ON MAL TRAITE ET QU’ON UN EMPLOYÉ LUI IMPOSE DES REPRÉSAILLES POUR QU’IL QUITTE SON EMPLOI PARCE QU’IL NE PARLE PAS SUFFISAMMENT BIEN L’ANGLAIS, C’EST INACCEPTABLE » – Éric Frémy, ex-employé de la GRC
La GRC n’a pas donné suite aux questions du
Journal depuis plusieurs semaines. Le corps policier, qui peut porter la décision en appel, n’a jamais nié la version des faits de M. Frémy en cour.