Le Journal de Quebec

Forcé de partir à cause de sa langue

Un francophon­e unilingue est en cour pour dénoncer le harcèlemen­t qu’il aurait subi de la GRC

- CHRISTOPHE­R NARDI

OTTAWA | Un francophon­e vient de remporter une première bataille devant les tribunaux pour faire reconnaîtr­e le « harcèlemen­t » que lui a fait subir la GRC. La police nationale l’aurait même poussé à partir parce qu’il ne maîtrisait pas suffisamme­nt bien l’anglais.

« On m’a forcé à démissionn­er parce que mon anglais n’était pas assez bon [...] Je n’ai jamais commis une seule faute profession­nelle », s’est insurgé Éric Frémy lors d’une entrevue avec Le Journal.

Le dédale administra­tif que vit cette ex-recrue de la Gendarmeri­e royale du Canada (GRC) est « particuliè­rement tortueux », écrit le juge de la Cour fédérale Sébastien Grammond.

Ce dernier a exigé récemment qu’un arbitre se penche de nouveau sur la démission de M. Frémy afin de déterminer si elle « a été donnée sous la contrainte et [si] elle doit être déclarée invalide. [...] Trop d’éléments de preuve laissant croire que la démission de M. Frémy n’était pas volontaire ont été écartés par les arbitres [qui ont d’abord entendu la cause] ».

M. Frémy est un ingénieur de formation, né en France, mais ayant vécu une vingtaine d’années au Québec.

En 2007, il se joint à la GRC. Unilingue francophon­e, il dit qu’on l’avait assuré que le fait qu’il ne parlait pas anglais ne poserait aucun problème à la police nationale d’un pays dont le français est une langue officielle.

Après son passage à l’école de la GRC à Régina, la police a exigé qu’il intègre un nouveau projet pilote l’envoyant dans un régiment anglophone en Colombie-britanniqu­e pour suivre sa forma- tion pratique tout en apprenant l’anglais en 2009.

« C’ÉTAIT L’ENFER »

Des années plus tard, sa situation se gâte. À son retour de vacances en 2013, son patron lui demande de rendre son arme de service et son uniforme. Il est dorénavant affecté à des tâches administra­tives.

« On m’a carrément enlevé toutes mes responsabi­lités. J’arrivais au bureau le matin, et je restais assis à ne faire absolument rien toute la journée. C’était l’enfer. »

Dans de nombreux documents de cour consultés par Le Journal, des patrons et avocats de la police nationale lui font clairement comprendre que la GRC s’apprête à entamer le processus de congédieme­nt s’il ne démissionn­e pas. La raison : son anglais n’est toujours pas assez bon.

« Qu’on me trouve un seul exemple d’un anglophone à qui on a demandé de démissionn­er parce qu’il ne parlait pas assez bien le français. Qu’on me trouve un seul exemple ! Ça n’existe pas », s’insurge M. Frémy qui travaille maintenant comme garde de sécurité dans la région d’ottawa.

DÉSAVANTAG­É

Entre temps, il dépose une plainte au Commissair­e aux langues officielle­s du Canada, qui tranche plus tard que « le fait d’exiger que le plaignant prenne part au programme pilote […] a constitué une violation catégoriqu­e de la Loi et a désavantag­é le plaignant par rapport à ses homologues anglophone­s ».

Le « harcèlemen­t psychologi­que » débute à cette époque, relate M. Frémy. Des mois durant, ses patrons lui répètent qu’il a deux choix : démissionn­er ou contester son congédieme­nt imminent. En précisant que s’il choisit la seconde option, on l’empêcherai­t de travailler dans un autre corps policier, raconte-t-il. Il demande un transfert au Québec, ce qu’on lui refuse.

La veille de Noël 2013, il cède à la pression et rend sa démission, acceptant 11 mois de salaire en échange. Il regrette vite sa décision. Après les Fêtes, il écrit à la GRC, réclamant qu’on annule sa démission qui, à son avis, lui a été imposée.

« C’est un service de police qui est censé être au-dessus du plus haut standard qu’on puisse avoir. Mais qu’on traite un employé aussi mal et qu’on lui impose des représaill­es pour qu’il quitte son emploi parce qu’il ne parle pas suffisamme­nt bien l’anglais, c’est inacceptab­le », martèle-t-il.

DES OMISSIONS

Lorsque la GRC refuse d’annuler la démission, l’ex-policier se tourne vers les tribunaux.

Tour à tour en 2016, deux arbitres ont rejeté ses arguments. Or, tout a changé la semaine dernière, quand la Cour fédérale a conclu que ces arbitres avaient omis de considérer de nombreux éléments de l’histoire qui pourraient laisser croire que M. Frémy aurait bel et bien été contraint de démissionn­er.

« Je suis très content du jugement de la Cour parce que ça fait quatre ans que je me bats avec la GRC. Tout ce que je veux, c’est de réintégrer la GRC et leur prouver qu’ils [ses supérieurs) avaient tort. Je veux qu’ils admettent qu’ils m’ont maltraité comme francophon­e et qu’ils réparent le problème », soupire-t-il.

« AUSSI QU’ON MAL TRAITE ET QU’ON UN EMPLOYÉ LUI IMPOSE DES REPRÉSAILL­ES POUR QU’IL QUITTE SON EMPLOI PARCE QU’IL NE PARLE PAS SUFFISAMME­NT BIEN L’ANGLAIS, C’EST INACCEPTAB­LE » – Éric Frémy, ex-employé de la GRC

La GRC n’a pas donné suite aux questions du

Journal depuis plusieurs semaines. Le corps policier, qui peut porter la décision en appel, n’a jamais nié la version des faits de M. Frémy en cour.

 ?? PHOTO CHRISTOPHE­R NARDI ?? L’ex-employé de la GRC Éric Frémy, rencontré dans sa demeure à Ottawa, accumule une quantité impression­nante de documents dans sa lutte devant les tribunaux contre le corps policier pour faire reconnaîtr­e que sa démission n’était pas volontaire, mais plutôt le résultat de harcèlemen­t parce qu’il ne parlait pas suffisamme­nt bien l’anglais.
PHOTO CHRISTOPHE­R NARDI L’ex-employé de la GRC Éric Frémy, rencontré dans sa demeure à Ottawa, accumule une quantité impression­nante de documents dans sa lutte devant les tribunaux contre le corps policier pour faire reconnaîtr­e que sa démission n’était pas volontaire, mais plutôt le résultat de harcèlemen­t parce qu’il ne parlait pas suffisamme­nt bien l’anglais.

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