Le Journal de Quebec

L’église et sa « psychologi­e d’élite »

- RICHARD LATENDRESS­E

D’une volée de cloches assourdiss­antes, le pape François a ébranlé les colonnes de l’église catholique chilienne. Au point où, réaction historique, tous les évêques du Chili ont remis vendredi leur démission. Début d’un profond décrassage ou manoeuvre cynique pour échapper aux responsabi­lités de massifs abus sexuels et de pouvoir ? Reste que François lui-même a fait son mea culpa.

Le Vatican a dévoilé jeudi dernier une photo dans laquelle une trentaine de prêtres entourent le pape François. Sauf pour un qui sourit à pleines dents et quelques autres qui grimacent, les monseigneu­rs ont le visage fermé et l’air sombre. C’est ce que ça donne, passer une semaine à se faire rincer.

Ils se sont fait servir un texte de 10 pages, tiré d’un rapport de deux enquêteurs du Vatican relatant les témoignage­s de dizaines de victimes d’agressions sexuelles et d’abus de pouvoir : des enfants vulnérable­s, précise le document, se sont retrouvés sans protection ; des prêtres abusifs et « immoraux » ont réussi à se recaser dans d’autres diocèses ; plusieurs ont réussi à obtenir des responsabi­lités les plaçant en « contact quotidien et direct avec des mineurs ».

Les plaintes étaient vite jugées invraisemb­lables ou classées sans même être étudiées. Les saints hommes sont même allés jusqu’à détruire des documents compromett­ants.

Une « perversion » ecclésiale pour le pape, selon ce que rapporte le quotidien Le Monde, où des individus se sont érigés en « unique interprète de la volonté de Dieu » et où l’important n’était pas le service aux autres, mais le sentiment « d’être spécial, différent des autres ». Une « psychologi­e d’élite » : on perçoit le dégoût dans les mots du pape argentin.

« MOI ITOU ! »

François a admis sa part de blâme et elle n’est pas mince. Les abus sexuels et d’autorité au sein de l’église chilienne étaient connus et dénoncés depuis longtemps. Pourtant, c’est lui, le bon pape François, qui, en 2015, avait nommé Juan Barros évêque d’osorno, à 1000 kilomètres au sud de la capitale chilienne.

Barros, depuis des années, était accusé d’avoir protégé Fernando Karadima, un ancien prêtre chassé de l’église pour abus. Pire que simplement le défendre, Juan Barros aurait lui-même détruit, dans les années 1980, les premières dénonciati­ons de Karadima parvenues à l’archevêché où il était le secrétaire.

Loin de se montrer réceptif aux protestati­ons des habitants d’osorno de voir débarquer un tel évêque chez eux, François s’est abandonné à qualifier de « calomnies » les allégation­s contre Barros : « Le jour où on m’apportera une preuve contre Mgr Barros, on verra. Il n’y a aucune preuve contre lui. »

DES PREUVES EN VEUX-TU ? EN VOILÀ !

Les preuves, apparemmen­t, il les avait, mais ses rencontres, pendant de longues heures au début du mois avec trois Chiliens, victimes d’abus, ont fini par le convaincre. « Après avoir été traités comme des ennemis pendant près de 10 ans », a indiqué une de ces victimes, Juan Carlos Cruz, « nous venons enfin de voir le visage amical de l’église. »

C’est un incontourn­able : traiter de l’église catholique, c’est rappeler qu’elle n’est plus l’ombre de la coquille de ce qu’elle a été au Québec. Peutêtre comme l’affirmait froidement le cardinal Ouellet, l’église catholique québécoise va-t-elle sortir renforcée de n’avoir qu’une poignée de fidèles convaincus plutôt qu’une armée de pratiquant­s ennuyés.

On n’y est certaineme­nt pas. La quête de sens, la réflexion spirituell­e n’ont pas disparu pour autant. De là à se sentir inspiré par ce qui se passe au sein de l’église de Rome, pas sûr. Même si ce pauvre François est plein de bonnes intentions.

 ??  ?? Le pape François lors d’une visite à Loppiano, en Toscane, le 10 mai dernier.
Le pape François lors d’une visite à Loppiano, en Toscane, le 10 mai dernier.

Newspapers in French

Newspapers from Canada