Le crépuscule de l’école de quartier
Le Devoir d’avant-hier éclairait un phénomène en forte expansion au Québec : l’école sur mesure.
Un couple de la Rive-sud de Montréal cherchait l’école « idéale » pour ses enfants. On ne s’étonnera pas qu’il ne l’ait pas trouvée.
Ces gens ont donc fondé leur propre école, « cohérente avec notre système de valeurs », disent-ils.
C’est 8000 $ par année et c’est approuvé par les autorités ministérielles. Dans cette école, c’est même chaque classe qui est différente.
« Notre but, dit l’un des fondateurs, c’est que l’enfant aime l’école. »
Comment réagira l’enfant quand il arrivera sur un marché du travail qui ne se pliera pas à ses goûts ?
PARTOUT
Le Devoir nous apprend que ces écoles sur mesure ou à profil particulier se multiplient, autant dans le réseau privé que dans le réseau public.
Forcément, le modèle progressivement marginalisé, c’est celui de l’école publique de quartier traditionnelle, accueillant gratuitement et sans distinction tous les enfants du secteur et offrant le programme ministériel standard, celle qu’on appelle dans le jargon québécois l’école « inclusive ».
Avant de grimper dans les rideaux ou de refaire le sempiternel procès de l’école privée — non pertinent ici puisque ce phénomène touche aussi le secteur public —, il faut voir que cette évolution, probablement irréversible, est à l’image de toute la société.
Les partis politiques se meurent parce que les gens acceptent de moins en moins les inévitables compromis qu’il faut y faire.
Les médias généralistes perdent du terrain au profit des médias spécialisés qui vous offriront de la cuisine, du sport ou des documentaires à temps plein.
Les entreprises sont aux prises avec une nouvelle génération d’employés qui, avant d’avoir accompli quoi que ce soit, exigent des ajustements et une reconnaissance.
Jadis, on s’adaptait à la société. Aujourd’hui, on veut adapter la société à nous.
Comme le dit le personnage du truand joué par Jack Nicholson dans The Departed de Martin Scorsese : « Je ne veux pas être un produit de mon environnement, je veux que mon environnement soit un produit de moi ».
Je ne défends absolument pas une école figée enseignant un programme immuable.
Tout change, et si ces nouvelles écoles aident à contrer l’abandon scolaire, on ne saurait être complètement opposés.
CONSÉQUENCES
Je me pose cependant trois questions.
Si on conçoit une école pour qu’elle soit au goût de l’enfant, comment réagira-t-il quand il arrivera sur un marché du travail qui ne se pliera pas à ses goûts ?
Il est souhaitable qu’un enfant aime l’école, mais si elle est aménagée en conséquence, ne devient-il pas plus difficile de lui faire comprendre qu’il faut souvent, dans la vie, accepter de faire des choses qu’on n’aime pas ?
Et s’il y a de moins en moins un savoir et des points de repère communs, facilite-t-on vraiment la compréhension mutuelle et la collaboration ?