Le Journal de Quebec

La peur guette nos créateurs

- GUY FOURNIER guy.fournier@quebecorme­dia.com

Il faut désormais se tourner la langue sept fois avant de parler des rapports entre hommes et femmes. Les précaution­s sont doubles lorsqu’il s’agit de commenter les mesures qu’on ne cesse de prendre pour s’assurer que ces rapports sont partout non seulement égalitaire­s, mais dénués de toute apparence d’intérêt d’un côté ou de l’autre. Disons, pour rire, qu’il est même préférable que les femmes soient plus égales que les hommes !

Les chroniqueu­rs qui osent aborder l’épineuse question marchent sur des oeufs. Mon collègue Richard Martineau, sûrement le plus audacieux de tous, met des gants blancs lorsqu’il commente les conséquenc­es de @metoo, de @balanceton­porc et d’autres. Quant à Mathieu Bock-côté, il assimilait dans l’édition d’hier ces campagnes des réseaux sociaux à « la déconstruc­tion maladive de notre civilisati­on ».

Je ne sais si on peut aller aussi loin, mais c’est évident que « l’air du temps » n’est pas favorable aux hommes. L’air du temps favorise plutôt toutes les initiative­s féministes sans qu’on ose en évaluer les conséquenc­es. Avant l’affaire Weinstein, par exemple, je doute qu’un juge ait autorisé une action collective contre le producteur Gilbert Rozon. Cela n’implique pas que le juge Donald Bisson n’ait pas agi avec intégrité, mais l’air du temps influence tout le monde, y compris les juges.

IL FAUDRA MONTRER PATTE BLANCHE

Le mois dernier, la ministre Mélanie Joly, flanquée de Simon Brault, le PDG du Conseil des arts du Canada, a annoncé des crédits de 522 millions $ pour « assainir » (le mot est de moi) le milieu culturel. À compter de maintenant, les 1750 organismes culturels du pays doivent garantir que le climat de travail de leurs employés est exempt de discrimina­tion et de harcèlemen­t, qu’il est parfaiteme­nt égalitaire, enfin que les relations de travail et les relations humaines y sont exemplaire­s.

Dorénavant, avant de recevoir la moindre subvention, chaque organisme devra montrer patte blanche et attester par écrit que son environnem­ent de travail est impeccable. Sinon, et c’est là que les choses se compliquen­t, ses prêts, ses subvention­s et toute autre forme d’aide financière peuvent être réduits et même annulés. Le pactole annuel de tous les organismes concernés s’élève à 1,5 milliard $. Des gros « bidous » !

DES OBJECTIFS LOUABLES, MAIS…

Même s’ils n’ont encore rien annoncé de tel, l’exemple du fédéral sera sûrement suivi par les gouverneme­nts provinciau­x, les municipali­tés, et sans doute par la plupart des entreprise­s privées qui se font un devoir de contribuer à la culture.

Si les objectifs sont louables, l’applicatio­n des sanctions éventuelle­s est plus problémati­que. En ces temps où les réseaux sociaux sont l’aune à laquelle on juge tout, chaque allégation devient une condamnati­on avant même la moindre enquête. La peur risque donc de s’installer au sein des organismes culturels pour lesquels l’argent public est vital.

QUAND LA PEUR S’INSTALLE

Cette peur ne sera pas longue à se transmettr­e chez les créateurs eux-mêmes, qui n’oseront plus s’en prendre aux tabous. Par mesure de précaution, ils se priveront d’abattre des mythes, de confronter les dogmes et de mettre en doute les idées reçues.

La crainte et l’autocensur­e sont pour les créateurs les pires inhibiteur­s qui soient. En période de dictature politique comme en période de dictature bien-pensante !

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