L’arrestation d’influents libéraux reportée trois fois
Des enquêteurs de L’UPAC se plaignent du manque de collaboration du DPCP dans une grosse enquête pour fraude
Les policiers qui enquêtent sur trois collecteurs de fonds libéraux soupçonnés d’avoir touché des commissions secrètes lors de transactions immobilières se plaignent ouvertement du manque de collaboration de la justice. Ils ont dû reporter au moins trois fois en deux ans la date prévue pour les arrêter, a appris notre Bureau d’enquête.
Les organisateurs libéraux William Bartlett, Franco Fava et Charles Rondeau, de même que l’ex-patron de la défunte Société immobilière du Québec (SIQ) Marc-andré Fortier font partie des suspects de l’enquête de l’unité permanente anticorruption (UPAC) nommée « Justesse ».
Selon la police, ils auraient entre autres reçu plus de 2 millions $ via des comptes bancaires aux Bahamas et en Autriche, après que la SIQ eut renouvelé des baux gouvernementaux à long terme dans des immeubles de Québec et Montréal au milieu des années 2000.
C’est Radio-canada qui a révélé la teneur du projet d’enquête Justesse il y a un an et demi, en novembre 2016. Ses reporters parlaient à l’époque de « la plus importante fraude dans une société d’état au Québec et peut-être même au pays ».
Ils indiquaient alors que « l’essentiel de l’enquête » policière était terminé et que le dossier était « à l’étude » par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), chargé de déposer les accusations.
ON SE LANCE LA BALLE
Aucune arrestation n’a eu lieu dans l’année et demie suivante. Des sources rencontrées par notre Bureau d’enquête permettent de comprendre qu’en coulisses, des enquêteurs souhaitent avoir un meilleur appui de la part du DPCP. On se lance la balle, on attend de l’aide qui ne vient pas ( voir exemples ci-contre). Avec, pour conséquences, les reports suivants :
En novembre 2015, L’UPAC prévoyait faire des arrestations à la fin avril 2016, selon des documents consultés. Les accusations envisagées étaient pour fraude, fraude envers le gouvernement, abus de confiance, corruption, complot pour fraude, recyclage des produits de la criminalité. Finalement, rien ne s’est produit.
Une seconde fenêtre d’arrestations a alors été prévue pour les 25 et 27 octobre 2016. Pas moins de 11 personnes étaient visées. L’opération ne s’est jamais déroulée. D’après nos informations, L’UPAC déplorait à ce moment le manque de disponibilité des procureurs de la Couronne.
Finalement, L’UPAC s’est donné comme objectif d’effectuer des arrestations à la fin avril ou au début mai 2018. À ce jour, elle n’est pas passée à l’acte.
« Ce sont (le DPCP) les grands responsables des reports de l’opération Justesse. On se demande pourquoi les suspects ne sont pas arrêtés, ça ne débloque pas », résume une personne qui travaille à L’UPAC et qui a requis l’anonymat par crainte de perdre son emploi.
« ÇA NE TIENT PAS LA ROUTE »
Anne-frédérick Laurence, porte-parole de L’UPAC, a réfuté la thèse selon laquelle le DPCP ralentirait l’enquête. « C’est faux, ça ne tient pas la route », a-t-elle dit. De son côté, Me Jean-pascal Boucher, porte-parole du DPCP, a affirmé que le dossier Justesse n’était actuellement « pas à l’étude au DPCP, mais plutôt sous enquête, selon l’information transmise par L’UPAC ».
En avril dernier, en commission parlementaire, le patron de L’UPAC, Robert Lafrenière, a indiqué que « l’enquête n’est pas terminée dans ce dossier-là », qu’il a qualifié d’« extrêmement complexe ».
Sans faire référence à un dossier en particulier, il a affirmé qu’il n’excluait pas que son organisation effectue des arrestations pendant la campagne électorale de l’automne prochain.