« Gilles était mon héros »
Je voudrais d’abord témoigner ma joie de renouer avec vous, lecteurs du Journal, à l’occasion du Grand Prix du Canada, un événement qui a toujours eu une signification particulière pour moi.
Le Journal a été un témoin privilégié non seulement des exploits de Gilles avant même son arrivée en F1, mais aussi de ma carrière et de ma conquête du championnat du monde en 1997.
Je voudrais vous dire, d’entrée de jeu, que je n’ai jamais porté attention aux anniversaires, qu’ils soient bons ou mauvais. Si je sais maintenant qu’on célèbre les 40 ans du premier Grand Prix à Montréal et de la victoire de Gilles, c’est que tout le monde en parle depuis quelques jours.
Je ne me suis jamais attaché aux dates. Le 8 mai [jour du décès de mon père] n’a jamais été encerclé dans mon calendrier. Généralement, c’est ma soeur Mélanie qui m’appelle ce jour-là.
LES MAUVAISES QUESTIONS
Dans le passé, plusieurs personnes ont mal interprété le jugement que j’avais envers mon père. Je me suis lassé et j’ai cessé de répondre à leurs questions.
Je ne voulais pas parler de mon père car les gens me posaient des questions stupides à son sujet. Ils ne voulaient pas écouter les réponses. Donc, je ne préférais ne pas répondre. On voulait me faire dire des choses qui n’exprimaient pas ma pensée.
Il y en a même qui voulaient me faire dire que je m’appelais Gilles. C’était rendu là. Que je poursuivais le parcours de mon père pour pouvoir accomplir ce qu’il n’a pas réalisé. Jamais.
Moi je fais de la course parce que j’aime ça. C’est ce que je sais faire de mieux. Et je souhaiterais que ça ne s’arrête jamais.
Les gens se sentaient insultés à l’époque et affirmaient que j’osais dénigrer mon père. J’étais rendu au point de ne plus vouloir en parler.
Comme si mon père n’existait pas.
Il n’y avait pas un sujet de discussion, alors ça donnait quoi d’en parler. Je leur disais : « laissez-moi faire mon travail et participer à mes courses. »
Mais moi, je suis fier de Gilles.
CONTRE L’OPINION PUBLIQUE
Sa victoire à Montréal en 1978 s’est avérée un moment important dans sa carrière. En fait, elle l’a lancée.
Sa saison avait été compliquée jusque-là. Si bien qu’en Italie on se demandait si Enzo Ferrari, le plus grand défenseur de Gilles, avait fait le bon choix.
Gilles se battait contre l’opinion publique. Cette victoire a donc eu un effet très positif, même si ç’a été un coup de chance.
Il a profité des abandons devant lui certes, mais il a su rester calme jusqu’à la fin de la course en évitant surtout les erreurs. On connaît la suite.
Il était rapide depuis son arrivée chez Ferrari. Cette victoire allait survenir tôt ou tard, le destin a voulu que ça se passe à Montréal. Tant mieux. C’était génial.
Honnêtement, mon seul souvenir de cette victoire, c’est une photo. Celle du podium où toute la famille était réunie. On portait des manteaux d’hiver, tellement il faisait froid.
UNE FIERTÉ
Quand j’étais jeune, Gilles n’était pas un père, il était mon héros. Le côté négatif, je ne le voyais pas.
Il n’était pas présent à la maison. Au sens de la famille, il n’était pas un père.
S’il n’avait pas été pilote, est-ce que je l’aurais été ? Peut-être pas.
Je tiens aussi à affirmer que j’ai été très flatté d’apprendre, après son décès, que le circuit porterait son nom. Très peu de personnes sur la planète peuvent avoir cette fierté.
Moi je n’ai jamais fait de la course pour l’émuler. Il m’a permis de connaître la compétition et le surpassement de soi-même.
Alors, oui, indirectement, c’est grâce à lui si j’ai été pilote de course. Mais ce n’était pas pour lui non plus que j’ai choisi ce métier.
Malheureusement, je n’ai jamais gagné à Montréal. J’aurais bien aimé le faire non pas parce que le circuit est identifié au nom de Gilles Villeneuve, mais plutôt parce que c’est chez nous.
UN WEEK-END COMPLIQUÉ
Je suis rentré à Montréal mardi soir après avoir passé quelques jours en Colombie-britannique où j’ai pu inau-
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gurer la nouvelle saison du complexe Area 27, un circuit de courses dont j’ai eu l’immense privilège de concevoir le tracé.
J’aimerais en dessiner davantage. J’aime la création à tous les égards.
Revenir à Montréal est pour moi un immense plaisir. Il y règne ici une ambiance rarement perçue ailleurs.
Ce n’est pas seulement moi qui le dis, mais aussi tous les intervenants de la F1. On a toujours hâte d’arriver à Montréal. On y vit vraiment au rythme du Grand Prix.
J’avoue que toutefois c’est un week-end compliqué, pour ne pas dire très occupé. Mais je ne me plains pas.
Ailleurs, les gens m’abordent dans le paddock, mais quand je quitte le circuit, je ne suis plus sollicité. Ici c’est différent. On me reconnaît sur la rue et c’est normal. Mais, en toute sincérité, j’aime ça. – Propos recueillis par Louis Butcher