Le Journal de Quebec

Délire sécuritair­e

- CLAUDE VILLENEUVE

Comme on s’y attendait, les quartiers centraux de Québec ont été paralysés, devenus inhospital­iers pour leurs occupants habituels. La surprise, c’est que ce n’est pas une horde de manifestan­ts violents qui ont pris notre ville en otage. Ce fut plutôt le fait des autorités policières.

C’est un scandale. Depuis des semaines, on fait peur au monde. On a fait fermer des écoles et des CPE et on a incité les commerçant­s à placarder leurs fenêtres. On a suspendu le travail parlementa­ire et renvoyé les cols blancs chez eux. Tout ça coûte très cher.

Pourquoi ? Pour une poignée de manifestan­ts, moins nombreux que les journalist­es qui les suivaient. Un délire sécuritair­e incarné par de bruyants hélicoptèr­es qui ont passé la fin de la semaine à survoler une ville qui n’était plus occupée que par des citoyens qui essayaient de dormir.

MAL BARRÉ

On dira que d’anticiper l’ampleur des mobilisati­ons n’est pas chose aisée. On répondra qu’une armée qui se déplace, ça fait du bruit. Si les protestata­ires étaient venus nombreux, ils n’auraient pas débarqué à l’anse au Foulon comme les troupes de Wolfe. Vérifier la quantité d’autobus affrétés vers Québec et surveiller les réseaux sociaux, ça se fait par du monde.

Nos services de renseignem­ent policier n’ont donc développé aucun savoir-faire après le Sommet des Amériques et le printemps étudiant. Heureuseme­nt qu’on n’a pas affaire à de vrais terroriste­s, par chez nous. On serait mal barré.

Il est plutôt à craindre que les gens réellement mal intentionn­és en auront pris bonne note : cette ville-là est facile à effrayer.

PRÉCAUTION ?

On nous dira également qu’en ces matières, vaut mieux appliquer un principe de saine précaution. Pourtant, dans une société libre et démocratiq­ue, on peut bien changer ses habitudes et se barricader face à une menace imminente. Ce n’est toutefois pas légitime de le faire devant une menace hypothétiq­ue. Et c’est carrément stupide de le faire pour une menace imaginaire.

Benjamin Franklin disait que ceux qui étaient prêts à renoncer à des libertés essentiell­es pour un peu de sécurité temporaire ne méritaient ni l’un ni l’autre. On y repense en constatant après coup que la stratégie policière fut finalement de faire assez peur aux gens honnêtes pour les dissuader de se joindre aux manifestat­ions.

Cette société où la libre expression est limitée à un enclos plutôt qu’être un état par défaut, c’est beaucoup plus inquiétant que trois pelés et un tondu habillés en noir.

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