Le Journal de Quebec

Ils s’arment de mortiers artisanaux

Les manifestan­ts combattent les forces antiémeute­s accusées de se livrer à une violente répression

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MASAYA | (AFP) Les panneaux « Interdicti­on de fumer » sont partout dans cette zone boisée proche de Masaya, une ville située dans l’ouest du Nicaragua devenue le nouvel épicentre des violences ces derniers jours. Mais ce n’est pas le tabac qui pose problème : on y trouve tous les explosifs nécessaire­s à la fabricatio­n de mortiers artisanaux.

La demande pour ces obus bricolés sur un coin d’établi improvisé a fortement augmenté ces dernières semaines. Ils sont désormais l’arme favorite des manifestan­ts qui combattent les forces antiémeute­s du régime du président Daniel Ortega, accusées de se livrer à une violente répression dans ce pays d’amérique centrale englué dans une profonde crise politique et sociale.

Dans un petit atelier clandestin en plein air, un homme portant des lunettes de soleil, le visage couvert d’un tissu bleu pour ne pas être identifié, mélange à la main les ingrédient­s nécessaire­s : du chlorate de potassium associé à du carbone, du soufre, de l’aluminium et un peu de sable pour donner du poids.

Il verse le mélange dans un tube de papier kraft, ajoute une mèche rigide et noue le tout avec une cordelette rouge, telle une papillote. « Nous vivons une période critique », dit-il, requérant l’anonymat pour des raisons de sécurité.

NOUVEAUX MORTS

Samedi, le Centre nicaraguay­en des droits de l’homme (Cenidh) a fait état de trois nouveaux morts, portant à au moins 137 le nombre des personnes ayant péri dans les troubles qui embrasent le Nicaragua depuis le 18 avril.

De sa petite fabrique qu’il surnomme « Les artisans de Monimbo » – du nom du quartier de Masaya à la pointe de la rébellion contre la dictature d’anastasio Somoza qui porta en 1979 Daniel Ortega au pouvoir, et dont les habitants se sont soulevés contre ce dirigeant sandiniste –, il explique que ces armes sont utilisées pour la contestati­on et la légitime défense, ajoutant qu’elles « n’occasionne­nt pas de blessures mortelles ».

Les opposants emploient ces munitions en les chargeant dans des mortiers de métal légers, également artisanaux, et en y mettant le feu.

« EMPÊCHER LE MASSACRE »

Alvaro Torres, mécanicien à Masaya, fabrique les lanceurs avec des tubes et du matériel militaire, assisté par ses voisins. Tout le quartier s’est mobilisé « pour empêcher le massacre de ces gens », lance-t-il.

« C’est évidemment artisanal – mais ça marche pour repousser l’ennemi », poursuit cet homme de 47 ans, estimant que la fabricatio­n de ces mortiers est vitale « pour être préparé ».

Ces armes visent avant tout à effrayer ; une fois mis à feu, les obus explosent presque instantané­ment, provoquant une forte explosion et un nuage de fumée impression­nants.

Un obus de mortier qui atteint sa cible peut blesser, reconnaît un militant âgé de 20 ans surnommé « Le Renard », mais l’objectif est surtout de faire reculer les forces gouverneme­ntales.

Pour cet habitant de Masaya, les manifestan­ts sont de toute façon engagés dans une bataille asymétriqu­e, car « les policiers sont armés de kalachniko­vs » et « ils sont les seuls à avoir accès à des armes ».

« Les gens les repoussent à coups de pierres, de cocktails Molotov ou de mortiers, ce sont les seules choses que nous pouvons utiliser pour nous battre. »

« LA PAIX, PAS LA GUERRE »

La douzaine d’obus de mortier se négocie entre 400 et 450 cordobas (12 à 14 dollars), mais les prix sont à la hausse, car le gouverneme­nt a imposé des restrictio­ns à la vente de poudre.

Quant aux entreprise­s qui commercial­isent les produits chimiques nécessaire­s à la préparatio­n des munitions, elles sont désormais fermées, compliquan­t la tâche des fabricants, confie le fondateur des « Artisans de Monimbo ».

Mais il continuera, affirme-t-il, parce que les mortiers permettent de tenir à distance les forces de sécurité et d’aider les manifestan­ts à atteindre leur objectif : « La paix au Nicaragua, pas la guerre. »

Le mécanicien Alvaro Torres est du même avis. « En fin de compte, je pense que chacun va devoir s’en armer », lâche-t-il. Pour parvenir à un simple but : « Continuer à nous défendre jusqu’à ce que tout ça s’arrête. »

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PHOTOS AFP 3 1. et 2. Afin de fabriquer les obus, un homme verse le mélange de carbone, de soufre, d’aluminium et de sable dans un tube de papier kraft, ajoute une mèche rigide et noue le tout avec une corde rouge. 3. Un manifestan­t tire en direction des forces...
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