Le Journal de Quebec

Je tremble pour notre télévision

- GUY FOURNIER guy.fournier @quebecorme­dia.com

Quelle télévision regarderon­s-nous dans 15 ou 20 ans ? Les cotes d’écoute de deux millions et plus que nous connaisson­s avec La Voix ou Unité 9 seront-elles possibles ? Nos réalisateu­rs gagneront-ils encore leur vie en tournant des séries en français quand on constate que déjà nos meilleurs réalisateu­rs poursuiven­t leur carrière en anglais ?

Comment ne pas être pessimiste quand on sait qu’il faudra au moins trois ans, sinon plus, pour que soient refondues nos lois sur la radiodiffu­sion et les télécommun­ications ? Pendant ce temps, Netflix et les autres géants de l’internet continuero­nt de grignoter les parts de marché de notre télévision. Les annonceurs continuero­nt de déserter nos chaînes pour enrichir des multinatio­nales qui ne consacrent pas un rond à la production de contenu canadien, encore moins de contenu francophon­e.

Netflix, dont on parle toujours comme du diable en personne, est à peu près seul à avoir investi dans des production­s canadienne­s, notamment dans Anne, Frontier, Travelers et Alias Grace. Netflix investira aussi dans des production­s québécoise­s qui seront « d’intérêt internatio­nal ». Elles coûteront très cher et seront de ce fait très peu nombreuses.

UN TIERS, DEUX TIERS

Jusqu’à maintenant, le gouverneme­nt fédéral a décrété que le tiers de l’argent public accordé à la culture, y compris à Radio-canada, doit revenir aux francophon­es. Si 30 % des Canadiens ont une certaine connaissan­ce de notre langue, les francophon­es dont la langue maternelle est le français ne forment plus que 20 à 21 % de la population. Combien de temps encore Ottawa maintiendr­a-t-il ce partage traditionn­el entre anglophone­s et francophon­es ?

C’est anecdotiqu­e, mais un lecteur m’a fait remarquer que les candidats à l’émission La Voix avaient présenté cette saison plusieurs chansons en anglais. Il se demande combien de chansons françaises on aurait chantées à une émission semblable diffusée par un réseau anglophone. Sans doute aucune !

Dans l’édition de vendredi du Journal, j’ai appris qu’on ne peut poser de questions en français à une conférence de presse de la Formule 1. Selon mon confrère Réjean Tremblay, on n’en pose presque plus en français aux Jeux olympiques où français et anglais sont pourtant les langues officielle­s. Comme dans le plus meilleur pays du monde !

UNE LISTE SYMPTOMATI­QUE

C’est peut-être anecdotiqu­e aussi, mais la semaine dernière, l’école Meadowridg­e a payé une pleine page de pub dans le quotidien Globe and Mail pour présenter la liste de ses finissants. Cette institutio­n haut de gamme située à Maple Ridge, en Colombie-britanniqu­e, accueille des élèves de la maternelle jusqu’à l’université. Pour vous donner une idée de sa qualité, on compte plus de 100 professeur­s pour 600 étudiants. Les frais de scolarité sont en conséquenc­e : 21 300 $ par an pour les Canadiens et 31 300 $ pour les étudiants étrangers.

Si la liste des finissants m’a donné froid dans le dos, c’est que sur les 47 diplômés, 28 sont d’origine asiatique, soit plus de la moitié. Les anglophone­s « de souche » y sont en minorité et la liste des diplômés ne compte pas un seul francophon­e. Voilà qui est symptomati­que de ce que sera bientôt le Canada.

Ce sont donc ces jeunes qui composeron­t l’élite canadienne de demain. Ce sont eux qui déterminer­ont les politiques culturelle­s du pays pour les génération­s à venir. Il faudrait être aveugle ou inconscien­t pour ne pas voir les dangers que court notre télévision francophon­e. Elle sera à la merci de leurs décisions.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada