Une composante essentielle de la culture québécoise
Le cinéma contribue directement au rayonnement de notre culture si singulière à l’international, notamment grâce aux festivals et cérémonies prestigieuses. Ce média agit comme une sorte de vitrine sur d’autres réalités, tout en permettant à ses publics diversifiés de vivre une véritable immersion au Québec à travers l’oeil des cinéastes. Échange avec Manon Dumais, scénariste de formation, journaliste à la culture au Devoir depuis 2014 et collaboratrice à différentes émissions culturelles à ICI Radio-canada, pour réfléchir sur notre cinéma et ses héros. Nos cinéastes savent s’illustrer ici comme à l’international depuis maintenant un bon nombre d’années. En quoi les films québécois sont-ils si singuliers?
D’abord, un élément qu’on ne peut pas négliger est notre accent, notre façon de parler et nos expressions. Les gens, particulièrement les spectateurs francophones à l’étranger, sont séduits. Il est surtout très intéressant de constater que plusieurs vont avoir recours aux sous-titres pour bien cerner les messages qu’on souhaite véhiculer! Ensuite, il est clair que les grands espaces québécois étonnent et émerveillent beaucoup. Ailleurs, ils n’en reviennent pas de voir l’étendue du territoire disponible pour un ratio assez petit de population. Côté personnalité, notre particularité et notre unicité se retrouvent dans le mélange entre notre côté un peu «latin», bon vivant, rigoleur, et notre côté plutôt «nordique», du fait que nos hivers durent quand même bien six mois par année. Cela se reflète énormément dans notre cinéma, qui peut être à certains moments introspectif et, à d’autres, humoristique et chaleureux.
Le cinéma québécois a longtemps été perçu comme un univers composé essentiellement d’hommes. Sentez-vous que cette tendance a changé?
La tendance est certainement en train de changer, mais il reste encore du travail à faire. En 2012, les Réalisatrices équitables (realisatrices-equitables.com) célébraient le 40e anniversaire du cinéma de fiction fait par les femmes au Québec. Il est alors encore assez récent que celles-ci ont une place dans l’espace cinématographique. Depuis une dizaine d’années, le groupe produit des rapports et lutte pour la parité, qui n’est pas encore atteinte sur les plateaux. Moins il y a de cinéma de femmes, moins on aura accès aux perceptions du monde et à l’imaginaire des réalisatrices, et moins on aura l’occasion de voir des personnages féminins diversifiés sur nos grands écrans. Toutefois, on est positifs pour l’avenir. Après la génération de Léa Pool et Micheline Lanctôt, cela ne s’arrête pas là! On fait la découverte de plusieurs autres talents au féminin, notamment Anne Émond, Chloé Robichaud, Sophie Goyette… D’autres femmes prennent leurs place. Par contre, la parité, cela ne va pas de soi. Plusieurs organisations continuent de prendre des engagements au quotidien.
Beaucoup d’oeuvres ont su refléter des pans clés de l’histoire, permettant au spectateur d’hier et d’aujourd’hui de s’imprégner de la culture québécoise et de raviver notre mémoire collective. Peut-on retrouver ces caractéristiques dans notre cinéma actuel?
D’abord, il faut savoir que faire des films historiques est extrêmement cher, car il faut reproduire différentes époques à travers les décors, les anciennes technologies, les voitures, les costumes, etc. En général, lorsqu’on fait des films historiques, ce sera fait de manière modeste. Si on ne voit pas réellement de grandes fresques historiques dans nos salles de cinéma, faute de budget, il y a certainement une volonté de raconter notre histoire chez nos cinéastes. Régulièrement, cela passe par nos héros. On peut notamment penser à La Bolduc, qui a pris l’affiche cette année et qui a été un grand succès.
Plusieurs affirment que nous vivons des changements dans le paysage cinématographique, laissant place à de nouveaux talents et à de nouveaux thèmes. Quels sont ces sujets qui définissent le cinéma d’aujourd’hui?
Dans la dernière année, trois longs-métrages de jeunes voix m’ont particulièrement marquée : Chien de garde, de Sophie Dupuis, Isla Blanca, de Jeanne Leblanc et
Ailleurs, de Samuel Matteau. Ce que je remarque, c’est une jeunesse en détresse. Cela s’inscrit dans la continuité du cinéma d’auteur au Québec. Je constate également des rapports difficiles avec la figure de la mère, qui n’a pas beaucoup d’options au grand écran. Les recherches des Réalisatrices équitables sont très intéressantes, car le personnage de la mère semble avoir trois choix : Elle claque la porte, elle devient folle, ou elle meurt. Bien sûr, il existe le cliché du cinéma québécois du film introspectif où les personnages regardent par la fenêtre et pleurent en silence… Je crois qu’on ne peut pas cracher sur cet aspect de notre cinéma. L’important est de trouver une balance entre l’espace occupé par le cinéma d’auteur et le populaire, car les deux ont leur place et leur pertinence propre.
Si vous avez la possibilité de faire écouter des classiques de notre cinéma à un nouvel arrivant au Québec. Lesquels choisiriez-vous, et pourquoi?
C’est un choix difficile! Ma sélection serait la suivante : Les ordres, de Michel Brault,
Les Plouffe, de Gilles Carle et C.R.A.Z.Y., de Jean-marc Vallée. Le premier est mon film québécois préféré, car on a accès à une page de l’histoire du Québec qui est très fascinante. L’action se déroule autour de la Révolution tranquille, la Crise d’octobre et la loi sur les mesures de guerre. C’est très inspirant de pouvoir revivre en quelque sorte cette effervescence et ce désir de vouloir s’affirmer en tant que Québécois et non Canadiens français.
Les Plouffe, de Gilles Carle, est également un incontournable qui a beaucoup voyagé dans le monde. Inspiré du roman de Roger Lemelin, ce film tragi-comique se déroule dans le Québec d’avant-guerre à la fin des années 1930. Pour quelqu’un qui arrive au Québec et qui ne le connaît pas, c’est intéressant de voir d’où on vient. Le personnage d’ovide Plouffe, l’intellectuel, est également très touchant, car il est à mes yeux une métaphore du Québécois et de sa posture dans le monde : «Y a pas de place, nulle part, pour les Ovide Plouffe du monde entier! »
Finalement, C.R.A.Z.Y., de Jean-marc Vallée, dresse un portrait très adéquat et touchant du Québec moderne post Révolution tranquille, jusqu’au référendum de 1980. Beaucoup peuvent se reconnaître dans les dynamiques de la famille, qui est en quête du bonheur à travers les obstacles du quotidien. On fait également une immersion dans l’univers musical de l’époque, des inspirations de la musique britannique et américaine, jusqu’à l’arrivée de Robert Charlebois, qui était la preuve qu’on pouvait aussi faire de la musique rock au Québec, et en français!