Ça va swinger sur un moyen temps!
Le joual, un élément fort de la culture québécoise
Le joual à travers l’histoire
L’origine du terme joual nous provient du mot « cheval » et de sa prononciation populaire déformée, datant environ de la fin du 20e siècle. Lorsqu’on « parlait joual », cela voulait alors signifier une façon de parler qui était non articulée, voire inintelligible. Ce n’est qu’à partir des années 1960 qu’on a commencé à parler du joual comme étant le dialecte français québécois. Plutôt connoté négativement, parler joual impliquait l’utilisation de traits phonétiques et lexicaux jugés incorrects, ainsi que le recours à certains anglicismes. Associé à des signes d’acculturation, ce registre était perçu comme appartenant au monde ouvrier, privé de contacts avec le reste de la culture francophone. En effet, lors de l’industrialisation à Montréal, beaucoup travaillaient dans des usines avec des employeurs anglophones. Le joual était alors une langue colorée inspirée entre autres de termes et verbes anglais adaptés à la française. C’est cette année que Les Belles
Soeurs, de Michel Tremblay, fêtait son 50e anniversaire. La pièce a fait d’abord scandale pour son recours au joual, mais va rapidement s’imposer comme un classique, ayant un succès retentissant partout à travers le monde. Jacques Cellard, critique du Monde, écrit en 1973 : « La pièce est en joual comme Andromaque est en alexandrins parce qu’il faut une langue à une oeuvre et une forte langue à une oeuvre forte. » Profitons de l’occasion pour faire un retour sur l’histoire singulière de ce registre qui continue encore aujourd’hui d’animer notre culture et notre langue. C’est lors de la Révolution tranquille que le joual a pris une importance majeure sur la scène politique, culturelle et sociologique. Il est difficile de ne pas se remémorer la parution en 1960 du fameux essai Les insolences du Frère Untel, écrit par JeanPaul Desbiens. À travers le personnage du Frère Untel, Desbiens critique la présence du langage populaire chez les Québécois, en argumentant que c’était un signe de médiocrité, de paresse, d’absence de désir de se surpasser et d’aspirer à l’excellence au sein de la société. Il écrit : «Le langage est le lieu de toutes les significations. Notre inaptitude à nous affirmer, notre refus de l’avenir, notre obsession du passé, tout cela se reflète dans le joual, qui est vraiment notre langue.» De son côté, se range entre autres André Laurendeau, rédacteur en chef du Devoir, qui publie les premiers textes du Frère Untel. À l’opposé, les auteurs de la revue Parti Pris décidèrent de contester fermement les propos de Desbiens. S’ensuivie la « querelle du joual », qui constituera une étape charnière des multiples débats sur la langue. Les arguments en défense du joual étaient entre autres la volonté de « faire vrai » dans la littérature, tout en étant un médium de contestation et de rébellion. Les auteurs de l’époque tenaient à revendiquer leur liberté entière de création, dans le registre de leur choix. Après une courte pause, le débat sera relancé par un coup de théâtre (littéralement!) de Michel Tremblay, en 1968, avec Les Belles-soeurs. Faisant du joual une « arme linguistique », Tremblay offrira à tout le Québec une oeuvre forte et majeure, qui voyagera à travers le monde. À travers la poésie de Gaston Miron, le cinéma de Gilles Carle, les monologues d’yvon Deschamps, les chansons de Louise Forestier, les textes télévisuels de Denise Filiatrault et Dominique Michel, l’utilisation du joual continuera de se répandre au fil des années qui suivront. Pour une première fois, les Québécoises et les Québécois avaient accès à une culture du peuple qui leur appartenait. Véritable symbole de libération, l’utilisation du joual servait également pour plusieurs artistes à mettre en scène le rabaissement vécu par la population.
Qu’en est-il aujourd’hui?
La tradition du joual perdure encore aujourd’hui, même si on ne fait plus nécessairement appel à ce terme. Nos façons de parler sont bien populaires dans la francophonie, et continuent de faire notre charme et de renforcer notre diversité. Resté longtemps hors du débat, le joual a refait surface avec Mommy de Xavier Dolan, qui a suscité beaucoup de réactions mixtes au sujet du registre de langue utilisé. Selon certains critiques, c’était un moyen plutôt inquiétant de représenter le Québec à l’étranger, utilisant un joual « caricatural », tout en encourageant par le fait même l’idée que sacrer à l’écran, c’est payant. Mais, selon d’autres, la langue utilisée dans le film du jeune réalisateur était encore une fois une sorte de révolte, un cri du coeur pour souligner la souffrance des personnages. Somme toute, plusieurs continuent de s’inspirer des textes de Michel Tremblay et de son legs, dont l’écrivain Simon Boulerice. En effet, il dit : « Au départ, j’ai tenté d’être un peu ampoulé. Désormais, je dépouille la langue. Plus je vieillis, plus je me retourne vers une langue peut-être plus pauvre, mais, à partir des mots que j’ai, j’essaie moi aussi de la faire fleurir différemment. » Une chose est sûre, ces oeuvres continuent de résonner, et le joual, riche de ses mots hauts en couleur, donne un sens du réel vibrant et vivant.