Le Refus global, 70 ans plus tard
Le 9 août prochain, cela fera 70 ans que le flamboyant texte du Refus global est paru à Montréal. Un seul libraire, Henri Tranquille, aura été assez courageux pour accueillir le lancement du manifeste et en assurer la distribution. Ce texte prend place sur l’espace public dans un Québec d’après-guerre, plongé dans la Grande Noirceur sous la gouverne de Maurice Duplessis. Remettant en question l’omniprésence de l’église catholique, le conservatisme et l’obscurantisme de la société québécoise, Paul-émile Borduas et les 15 signataires renversent la vapeur en tant que premiers artistes faisant porter leurs voix dans le débat public.
L’impact du Refus global aura certainement été majeur au plan social, bien sûr, mais également au sein de l’art québécois. Annie Gauthier, directrice des collections et de la recherche du Musée national des beauxarts du Québec (MNBAQ), a chaleureusement accepté de s’entretenir avec nous sur cette question. La parution du Refus global a sans contredit constitué un immense tournant dans l’art québécois. Cela ne s’est pas fait sans opposition de la part de plusieurs critiques virulentes, créant plusieurs embûches difficiles pour les signataires. Être porteur d’une nouvelle conception sociale n’est pas sans conséquence, surtout à une époque où le conformisme est de mise. On peut d’ailleurs faire référence à Borduas, qui a dû quitter son emploi de professeur à l’école du meuble, à la suite des pressions faites par le gouvernement. En plus du rapport complexe entretenu entre les signataires et la société en général, une brisure difficile s’est produite entre ceux-ci et leurs proches. Il est d’ailleurs pertinent et troublant de se renseigner sur les enfants et les petits-enfants du Refus global, qui ont vécu douloureusement l’abandon de ces contestataires de l’époque. Cela va sans dire que l’art québécois s’est vu transformer à la suite de la sortie de ce document. Comme nous le rappelle madame Gauthier, les artistes qui y ont participé avaient pour une première fois une voix publique, d’autant plus que plusieurs étaient professeurs. Leurs façons de créer et de percevoir le système ont alors façonné et guidé les pratiques des futurs artistes visuels au Québec. Aujourd’hui, ils sont encore porteurs de ce bagage, de sorte qu’on ne peut plus faire abstraction de ce mouvement puissant. Depuis, les artistes continuent de faire porter leurs voix et de contester dans l’espace public. La directrice des collections et de la recherche au MNBAQ souligne alors l’importance de célébrer, encore aujourd’hui, l’héritage des automatistes, car ces artistes avaient une fierté à se tenir debout. Porter un rêve, en tant qu’artiste ou individu, est extrêmement riche. En commémorant ces initiatives, cela nous permet en tant que société et public de réfléchir un peu plus sur notre passé, et par conséquent, notre avenir.