Le Journal de Quebec

« Les pères, ça ne sert à rien »

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Quand ma plus jeune était en 5e année, dans une école publique d’outremont, notre famille a vécu des moments difficiles. Malade, j’ai dû demander à mon ex de prendre la relève. Il a mis sa vie de côté pour devenir papa à temps plein.

Le vendredi précédant la fête des Pères, ma fille a demandé à son enseignant­e, une ancienne religieuse, pourquoi ils ne dessinaien­t pas une carte de souhaits en classe pour les papas, comme pour la fête des Mères.

« Les mères, c’est une chose, a-t-elle répondu, les pères, ça ne sert à rien. »

Un jugement cruel pour une enfant qui vit avec son père, vous ne trouvez pas ?

J’ai porté plainte, mais le syndicat l’a défendue bec et ongles.

MOINS DE PRESTIGE

Il s’agit d’un cas extrême, mais l’aura des pères brille moins que celle des ma- mans. Personne n’a écrit « Papa tu es le plus beau du monde » ou « Le papa », version masculine de La mamma d’aznavour.

Mais des pères ont écrit des choses merveilleu­ses au sujet de leurs enfants, la plus belle étant selon moi Mistral gagnant de Renaud, suivie de Tears in heaven d’eric Clapton pour son fils de quatre ans, Connor, qui est mort en tombant du 53e étage d’un édifice de New York alors qu’il attendait son père.

Impossible d’écouter cette chanson sans pleurer.

Bien sûr, il y a des hommes tout croches comme il y a des femmes tordues. Ce n’est pas d’eux que je parle.

Je suis entourée de bons pères et j’aimerais comprendre pourquoi leur fête n’a pas le prestige de la fête des Mères.

On se fendra en quatre pour trouver le cadeau qui fera glousser maman de plaisir, mais papa aura droit à des bas, des bobettes, une ceinture, une cravate ou un portefeuil­le. Certains recevront une tondeuse, l’équivalent masculin de l’aspirateur.

Comme les pères disent souvent « n’en faites pas trop pour moi », on les amène manger à La belle province pour célébrer leur journée spéciale.

LE MIEN

J’ai adoré mon père. Mon défenseur, mon champion, mon héros. Même dans les pires moments de ma vie, il ne m’a jamais jugée.

Il était grand, beau, fort. Comme on disait à l’époque, une belle pièce d’homme. Ancien policier militaire, j’étais persuadée qu’il n’avait peur de rien.

Mais avant de mourir, il a partagé avec moi, en pleurant, sa terreur de quitter cette Terre. « Je ne crois pas au Ciel. »

Papa était un homme rose avant son temps. Tous les samedis, il faisait le ménage avec maman.

Il ne voulait pas que je change de nom en me mariant. Il laissait maman partir au bout du monde sans lui, une chose qui ne se faisait pas à l’époque. Les voisins parlaient. Il n’aimait juste pas voyager.

Fidèle jusqu’à ce que maman décède en 1976, veuf, il est devenu tombeur de ces dames.

Au salon funéraire, j’ai dû gérer le trafic pour que ses quatre « blondes » ne se croisent pas. Il est mort à 84 ans, il y a 20 ans.

Il m’arrive encore de penser « faut que j’appelle papa ».

Surtout aujourd’hui.

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LISE RAVARY Communicat­rice, journalist­e et chroniqueu­se

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