Le Journal de Quebec

Rappeur et père monoparent­al

Il enchaînait les semaines de sept jours et les nuits dehors à vendre ses albums de musique pour prouver à sa fille que tout est possible

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Un père monoparent­al, qui a échappé à la violence des gangs en chantant, a vendu des milliers d’albums dans la rue en parallèle avec son emploi d’agent d’entretien ménager et ses études, pour inciter sa fille à poursuivre ses rêves.

« Si je n’avais pas eu l’encadremen­t de ma famille et la musique, j’aurais pu facilement devenir un membre de gang », reconnaît luimême Daniel Juste.

Enfant, ce fils d’immigrés haïtiens ayant grandi à Montréal a été quotidienn­ement aux prises avec la terreur que faisaient régner les gangs bleus et rouges dans son entourage.

« À 14 ans, j’ai été témoin d’un meurtre, raconte-t-il d’une voix grave. Nous étions à une fête et un groupe de personnes se trouvaient sur le trottoir. Une voiture est passée et le passager a tiré avec un fusil de type shotgun sur un jeune d’une vingtaine d’années. J’ai vu le trou dans son ventre et son corps dans une flaque de sang. Ç’a peut-être duré dix secondes, mais c’était les dix secondes les plus longues de ma vie. »

C’est pour se délivrer de ce vécu violent que Daniel s’est lancé dans la musique au cégep, décrivant dans des morceaux de rap la réalité cruelle qu’il observait autour de lui.

NAISSANCE

Mais à 20 ans, Daniel a dû faire face à un évènement imprévu : la naissance de sa fille, Alyssia.

La mère, alors aux prises avec un problème d’alcool, n’était pas en mesure de s’occuper de l’enfant et le jeune homme, qui étudiait pour devenir professeur d’éducation physique, a été obligé de se débrouille­r seul.

« J’ai dû arrêter les cours et trouver un moyen de nourrir ma fille, explique-t-il. J’ai postulé au CHU Sainte-justine et, quelques mois après, j’ai eu la chance d’être embauché comme agent d’entretien ménager. »

À cette période, Daniel découvrait la réalité de ce métier exigeant, mais aussi la difficulté d’être un parent monoparent­al.

« Avant ça, je ne comprenais pas ce que vivaient les mères seules, mais là je me suis rendu compte de tous les efforts que ça impliquait, explique-t-il. C’est beaucoup d’organisati­on pour gérer ton travail et ton enfant en même temps. Quand la petite est tombée malade deux semaines, j’étais mort d’inquiétude et je n’avais personne pour m’épau- ler. Je ne souhaite pas ça à mon pire ennemi. »

Malgré ses obligation­s, Daniel, qui est passé du rap au reggae-pop, a continué de chanter et a même sorti un premier album en 2013, avec l’aide du CHU Sainte-justine, qui lui a permis d’effectuer un concert devant des patients et des collègues, lors d’une journée des employés.

« Un des enfants présents a vraiment aimé ce que je faisais et m’a invité à chanter à sa fête par la suite. Je ne le savais pas, mais il était en phase terminale d’un cancer et n’avait plus que quelques mois à vivre. Cette rencontre m’a bouleversé et convaincu que je devais continuer ma carrière coûte que coûte. »

DANS LA RUE

Plus déterminé que jamais, Daniel s’est alors mis à parcourir les rues de Montréal, la nuit, après son quart de travail, pour vendre son album aux passants.

« J’allais à la sortie des bars ou des concerts la fin de semaine, de 22 heures à 4 heures du matin. J’expliquais ma situation aux gens et je leur proposais d’acheter mon album 5 $ pour m’encourager. Même quand il neigeait, je ne lâchais pas, je pensais à ma fille qui dormait chez ses grands-parents et je me disais que je pouvais le faire pour elle. »

À force de répéter l’exercice, l’infatigabl­e jeune homme a fini par vendre entre 20 et 30 albums par soirée.

Les efforts de Daniel lui ont permis d’écouler environ 2000 exemplaire­s de son album en 2 ans et de récolter près de 10 000 $.

Une somme grâce à laquelle il a pu faire voyager sa musique.

VOYAGES

« En 2015, je suis parti une semaine seul à Cuba dans un grand hôtel de Varadero, le Barcelo Solymar. J’avais un seul objectif : faire un concert là-bas. »

Un objectif qu’il a réussi à atteindre grâce à son sourire communicat­if et sa force de persuasion.

« Au départ, le manager ne me prenait pas au sérieux. Mais je l’ai regardé dans les yeux et je lui ai dit : “je ne prendrai pas non pour une réponse”. Finalement, je me suis produit devant 300 clients, et il m’a même félicité ! »

Fort de ce premier succès, Daniel a depuis répété l’expérience en Jamaïque et à Miami.

Depuis quelques années, le jeune homme hyperactif a aussi repris ses études au cégep en sciences humaines pour devenir travailleu­r social auprès des jeunes. Il collabore d’ailleurs régulièrem­ent avec la Maison des Jeunes de Longueuil.

« Je veux donner à d’autres le goût de se sortir de la rue et d’atteindre leurs objectifs. »

À commencer par sa propre fille, Alyssia, âgée de 10 ans, qui reste sa priorité.

« Souvent, je l’aide à faire ses devoirs et je fais les miens en même temps, raconte Daniel en riant. Son rêve profession­nel est de devenir enseignant­e et son rêve artistique est de devenir rappeuse. Moi, je fais tout pour lui prouver que les deux sont possibles si elle y met du coeur. »

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En parallèlea­vec sa carrière, Daniel travaille depuis 10 ans comme agent d’entretien ménagerau CHU Sainte-justine, où il a déjà donné plusieurs concerts.

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