Des bandits avec et sans cravate
Denys Arcand peut dormir tranquille : La chute de l’empire américain, son dernier long métrage, ne connaîtra pas le même sort que Le règne de la beauté.
Non seulement les critiques ont salué le retour en grande forme du réalisateur du Déclin (« Un film jubilatoire », a écrit avec raison ma consoeur Isabelle Hontebeyrie), mais le public, j’en suis sûr, appréciera cette réflexion cynique et grinçante sur la cupidité.
LE RÈGNE DE L’ARGENT
Dans Réjeanne Padovani, son film prophétique sur la corruption dans le monde de la construction, Denys Arcand mettait face à face deux sortes de bandits.
Des membres de la petite pègre, qui tétaient une bière tablette en jouant au billard dans un sous-sol.
Et des membres influents de l’élite (avocats, politiciens, entrepreneurs) qui brassaient de grosses affaires en sirotant du champagne frais dans un salon cossu de Westmount.
Les premiers étaient des bums vivant en marge de la société. Les seconds, de grands bourgeois respectés par leur communauté. Dans La chute de l’empire américain, Arcand trace le même parallèle. Rémy Girard (truculent) incarne un ancien membre des Hells qui vient tout juste de sortir de prison.
Et Pierre Curzi (tellement juste qu’il donne froid dans le dos) interprète un génie de la finance passé maître dans l’art du blanchiment d’argent.
Le premier est un gros pas de classe qui porte une couette et des t-shirts sales.
Le second, un homme raffiné amateur de peinture et de musique classique.
Or, que nous dit Arcand ? Que le plus gros bandit des deux est celui qui semble le plus fréquentable.
UNE COUCHE DE VERNIS
Les Hells, au moins, ne se racontent pas d’histoires sur ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Ce sont des bandits qui enfreignent la loi, point. Ils n’essaient pas de péter plus haut que le trou. Ce sont des bums. Des malfrats. Qui volent l’argent des autres. Alors que les conseillers financiers qui enfouissent des fortunes colossales dans des paradis fiscaux (privant ainsi certains États de plusieurs milliards de dollars qui pourraient servir à soigner et à éduquer les gens) se prennent pour des philosophes, des magiciens, des grands manitous. Ils ne volent pas les honnêtes citoyens, oh que non. Ils aident leurs clients richissimes à échapper à la rapacité des gouvernements.
Ils font bouger l’argent. Ils exportent la richesse dans des pays en voie de développement. Ils participent à rendre les entreprises et les États plus compétitifs. Ils aident à faire tomber les frontières. Ils améliorent le rendement des multinationales, leur permettant d’investir davantage dans leur développement, donc, de créer des emplois, etc., etc.
À VISAGE DÉCOUVERT
Vous vous rappelez le Déclin ? Il y avait une bande d’intellectuels constipés qui cachaient leur envie de baiser tout ce qui bouge derrière de grands mots et de grands concepts. Et il y avait Gabriel Arcand, un bum qui disait : « Bon, ben, quand est-ce qu’on arrête de parler et qu’on commence à baiser ? » C’est la même chose avec le personnage incarné par Rémy Girard. C’est un bandit, mais au moins, il n’est pas hypocrite. Il s’assume entièrement. Comme disent les Anglos : « What you see is what you get. »