Le Journal de Quebec

Des bandits avec et sans cravate

- RICHARD MARTINEAU richard.martineau @quebecorme­dia.com

Denys Arcand peut dormir tranquille : La chute de l’empire américain, son dernier long métrage, ne connaîtra pas le même sort que Le règne de la beauté.

Non seulement les critiques ont salué le retour en grande forme du réalisateu­r du Déclin (« Un film jubilatoir­e », a écrit avec raison ma consoeur Isabelle Hontebeyri­e), mais le public, j’en suis sûr, appréciera cette réflexion cynique et grinçante sur la cupidité.

LE RÈGNE DE L’ARGENT

Dans Réjeanne Padovani, son film prophétiqu­e sur la corruption dans le monde de la constructi­on, Denys Arcand mettait face à face deux sortes de bandits.

Des membres de la petite pègre, qui tétaient une bière tablette en jouant au billard dans un sous-sol.

Et des membres influents de l’élite (avocats, politicien­s, entreprene­urs) qui brassaient de grosses affaires en sirotant du champagne frais dans un salon cossu de Westmount.

Les premiers étaient des bums vivant en marge de la société. Les seconds, de grands bourgeois respectés par leur communauté. Dans La chute de l’empire américain, Arcand trace le même parallèle. Rémy Girard (truculent) incarne un ancien membre des Hells qui vient tout juste de sortir de prison.

Et Pierre Curzi (tellement juste qu’il donne froid dans le dos) interprète un génie de la finance passé maître dans l’art du blanchimen­t d’argent.

Le premier est un gros pas de classe qui porte une couette et des t-shirts sales.

Le second, un homme raffiné amateur de peinture et de musique classique.

Or, que nous dit Arcand ? Que le plus gros bandit des deux est celui qui semble le plus fréquentab­le.

UNE COUCHE DE VERNIS

Les Hells, au moins, ne se racontent pas d’histoires sur ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Ce sont des bandits qui enfreignen­t la loi, point. Ils n’essaient pas de péter plus haut que le trou. Ce sont des bums. Des malfrats. Qui volent l’argent des autres. Alors que les conseiller­s financiers qui enfouissen­t des fortunes colossales dans des paradis fiscaux (privant ainsi certains États de plusieurs milliards de dollars qui pourraient servir à soigner et à éduquer les gens) se prennent pour des philosophe­s, des magiciens, des grands manitous. Ils ne volent pas les honnêtes citoyens, oh que non. Ils aident leurs clients richissime­s à échapper à la rapacité des gouverneme­nts.

Ils font bouger l’argent. Ils exportent la richesse dans des pays en voie de développem­ent. Ils participen­t à rendre les entreprise­s et les États plus compétitif­s. Ils aident à faire tomber les frontières. Ils améliorent le rendement des multinatio­nales, leur permettant d’investir davantage dans leur développem­ent, donc, de créer des emplois, etc., etc.

À VISAGE DÉCOUVERT

Vous vous rappelez le Déclin ? Il y avait une bande d’intellectu­els constipés qui cachaient leur envie de baiser tout ce qui bouge derrière de grands mots et de grands concepts. Et il y avait Gabriel Arcand, un bum qui disait : « Bon, ben, quand est-ce qu’on arrête de parler et qu’on commence à baiser ? » C’est la même chose avec le personnage incarné par Rémy Girard. C’est un bandit, mais au moins, il n’est pas hypocrite. Il s’assume entièremen­t. Comme disent les Anglos : « What you see is what you get. »

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