Tué par la routine
J’ai dû lire les reportages au sujet du bébé oublié dans l’auto par son père parce que j’allais en parler aujourd’hui. Sinon, je serais passée à côté. Et si j’en parle, c’est pour dire que j’aimerais mieux éviter d’en parler parce que c’est trop douloureux. Confus ?
Pas autant que moi. Un exemple. Pourquoi sommesnous irrépressiblement attirés par les accidents de la route ? Ne pas regarder, pour la plupart, constitue un exploit. Et si, au milieu de la tôle tordue, vous aperceviez des restes humains, croyez-moi, vous vous sentiriez coupables pendant très longtemps d’avoir regardé. Ce sont des images qui s’impriment pour toujours dans notre mémoire.
Je le sais, cela m’est arrivé. Et pourtant, il m’arrive encore de regarder.
AU BOULOT !
Mais voilà, mon travail est de commenter l’actualité. Et l’actualité depuis vendredi inclut ce drame horrible d’un enfant de six mois oublié dans l’auto par son père qui devait le déposer à la garderie. Le troisième cas au Québec en 15 ans. Le premier père, en 2003, avait été accusé d’homicide involontaire, mais l’accusation avait été retirée. En 2016, le père n’a été accusé d’aucun crime.
Et c’est très bien comme cela à moins de prouver hors de tout doute que le geste était intentionnel, ce qui est impensable.
Comme tout le monde, j’essaie de comprendre : la charge mentale imposée aux jeunes travailleurs est-elle en train de les rendre fous ? De les couper de leur quotidien ? Le stress va-t-il finir par avoir raison de leur santé mentale ? Le pilote automatique a-t-il pris le contrôle de leur vie ?
J’aime me moquer de ces pratiques nouvel âge importées de l’inde – la « sagesse » légendaire de cette culture ne comprend pas de ne pas maltraiter les femmes – comme la pleine conscience, appelée mindfulness en France.
Mais j’ai peut-être tort. Peut-être devrions-nous accorder plus d’importance au moment présent.
Mais voilà, avant de tirer des conclusions sociologiques, rappelons-nous qu’il s’agit d’événements extrêmement rares. Ce qu’on appelle des faits divers, pas des faits de société.
Et puis, à moins de pénétrer dans le cerveau du père, personne ne saura jamais ce qui s’est vraiment passé. Tout comme nous ne ressentirons jamais le poids de la douleur et de la culpabilité qui va l’habiter toute sa vie durant.
TRADITION JOURNALISTIQUE
Les faits divers, crimes, accidents, incendies, etc., constituent la base même du journalisme. Rapporter ce qui se passe près des gens est un noble métier, même si les jeunes journalistes préfèrent se diriger vers la politique, l’international, la culture ou les sports, plus prestigieux et stimulants. Dans le milieu, nous appelons la couverture des faits divers « faire les chiens écrasés ».
Les habitués des réseaux sociaux s’intéressent peu aux faits divers, trop locaux, trop insignifiants pour impressionner la planète internet, mais qui créent des liens entre les membres de la même communauté. « As-tu vu… ? »
Je crois que les tabloïds, qui couvrent les faits divers, sont moins à risque de succomber à la révolution numérique, car ils n’ont pas Facebook ou Twitter dans les jambes.
Il faut les couvrir en évitant de généraliser.