Les empêcheurs de créer en rond
Vous rappelez-vous l’époque où le milieu culturel dénonçait la censure, où les critiques grimpaient dans les rideaux quand une autorité morale voulait dicter le contenu des oeuvres ? Eh bien, cette époque est révolue.
Aujourd’hui, le milieu des artistes et des critiques demande — que dis-je ! —, exige que les oeuvres soient expurgées de tout ce qui dérange ou froisse les bonnes moeurs. C’est désespérant.
MISE À L’INDEX VERSION 2018
En fin de semaine, le critique de cinéma de La Presse Marc-andré Lussier a publié sa chronique sur la comédie musicale Fame, mise en scène par Serge Postigo. Lussier a été, comme le critique du Huffingtonpost, offusqué par la chanson Je ne la contrôle plus, dans laquelle un des personnages raconte qu’il ne contrôle plus son pénis quand il aperçoit une des filles de sa classe.
Lussier y voit « un numéro superflu, qui paraîtra même de mauvais goût dans les circonstances. [...] Avec tout ce qui s’est passé au cours des derniers mois dans le monde, peut-être aurait-il mieux valu se garder une petite gêne sur ce plan... »
Au lieu d’avancer, on recule. C’est rendu que les critiques de cinéma appellent à la censure. Pour faire plaisir à ces nouveaux curés, il aurait fallu couper dans une oeuvre toute référence à la libido, au lendemain des affaires Weinstein, Salvail et Rozon ?
Mais pourquoi s’arrêter là, les amis ? Exigez donc que l’on ne montre plus le Casanova de Fellini dans les cinémathèques ou les classes de cinéma.
Exigez que les maisons d’opéra cessent de monter Don Giovanni de Mozart. Que les théâtres mettent le Don Juan de Molière à l’index. Après tout, ce vieux dégueulasse ne dit-il pas : « Je me sens un coeur à aimer toute la terre, et, comme Alexandre, je voudrais qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses. » C’est bien connu que Jean-baptiste Poquelin était un apôtre de la culture viol...
Sortez vos ciseaux et coupez dans l’oeuvre du Marquis de Sade. Comme disait l’autre, avec tout ce qui s’est passé au cours des derniers mois dans le monde, peut-être vaudrait-il mieux se garder une petite gêne sur ce plan...
Récemment, dans un commerce, j’ai entendu la chanson Brave Margot. « Quand Margot dégrafait son corsage / Pour donner la gougoutte à son chat / Tous les gars, tous les gars du village / Étaient là la la la la la la ». Le vendeur et moi remarquions que jamais Georges Brassens n’aurait pu écrire cette chanson, qui parle de l’obsession des hommes pour les poitrines des femmes, s’il avait vécu en 2018. S’il n’était pas mort en 1981, Brassens, anticlérical notoire, serait découragé par les nouveaux curés qui voudraient couper dans les oeuvres des créateurs toute référence au sexe sans contrôle.
BONHEUR ESTIVAL
Profitant de l’été, je prends une pause de chroniques pour les trois prochaines semaines. Pendant mes vacances, j’ai bien l’intention d’aller voir des expos de peintres obsédés par les corps des femmes, de lire des livres empreints d’érotisme, d’écouter des chanteurs grivois.
Bref, j’ai bien l’intention de me tenir loin des ayatollahs de la pensée. C’est aussi ce que je vous souhaite, jusqu’au 16 juillet.