Le Journal de Quebec

Le gâchis

Dans une société libérée de l’obscuranti­sme, personne ne se réjouirait qu’une oeuvre artistique soit censurée.

- CLAUDE VILLENEUVE claude.villeneuve@quebecorme­dia.com

Oui, la pièce SLAV, annulée hier dans ce qui a tout l’air d’une décision unilatéral­e du Festival Internatio­nal de Jazz de Montréal, comprenait plusieurs maladresse­s, tant dans sa mise en scène et son propos que dans le processus ayant mené à sa création. Pourtant, elle n’avait pas été montée dans le but de blesser ou d’exploiter la souffrance des descendant­s d’esclaves.

En fait, ses créateurs visaient précisémen­t l’inverse. Le fait qu’on n’y soit pas ou qu’on y soit mal parvenu ne rend pas légitime l’ambiance d’autodafé qu’on a voulu instaurer en face du Théâtre du Nouveau Monde.

DÉSINFORMA­TION

Ce n’est pas d’hier que le FIJM montre qu’il est plus préoccupé par ce qu’on en dit dans la Gazette que dans l’univers francophon­e de Montréal. Il semble toutefois que, cette fois-ci, c’est davantage la mauvaise presse internatio­nale qui l’aura fait fléchir.

En effet, la nouvelle de la décision du chanteur soul Moses Sumney d’annuler sa participat­ion au Festival en réaction à la controvers­e a été rapportée par plusieurs magazines spécialisé­s américains juste avant l’annonce du retrait.

Or, dans sa déclaratio­n, l’artiste dénonce que la situation des esclaves dans les champs de coton soit mise en scène, comme si on avait voulu la célébrer ou s’en moquer. En outre, il reprend l’histoire non confirmée selon laquelle une manifestan­te noire aurait été giflée par un spectateur à qui elle tentait de bloquer l’entrée.

Bref, la désinforma­tion des militants radicaux a fonctionné. Plutôt que de chercher le dialogue, on a caricaturé, forcé le trait et oublié que SLAV ne portait pas que sur les esclaves afro-américains. Et devant cette montée de l’obscuranti­sme, le FIJM a cédé.

LE FOSSÉ

Personne n’a gagné, dans cette histoire. Le fossé s’est agrandi.

On n’aura pas de félicitati­ons à faire non plus à Betty Bonifaci, Robert Lepage et Lorraine Pintal, directrice du TNM. La première a fait preuve d’une inculture et d’une naïveté frôlant la niaiserie au moment de défendre son oeuvre. Le second s’est campé dans son mutisme en refusant d’expliquer sa démarche. La troisième a péremptoir­ement répondu aux critiques en disant : « Notre réponse est sur scène. »

Voilà trois communican­ts qui, figés quelque part en 1979, n’ont pas encore constaté qu’en 2018, la conversati­on aura lieu même si on décide de ne pas y participer. Ils ont ainsi formidable­ment servi le dessein de gens qui voulaient les faire passer pour des insensible­s qui ne comprenaie­nt pas le matériel qu’ils manipulaie­nt. Là-dessus, ceux-là n’auront manifestem­ent pas eu si tort que ça.

À la fin, c’est un immense gâchis. Une oeuvre qui devait nous instruire sur la résilience que les humains ont de triompher de l’infamie ne sera plus entendue. Les radicaux en prendront bonne note et remettront ça dès que d’autres contenus leur déplairont. Que tous les créateurs se le tiennent pour dit.

Personne n’a gagné, dans cette histoire. Le fossé s’est agrandi. Parce que oui, le racisme et la discrimina­tion, ça existe encore. Malheureus­ement, si les manifestat­ions et les menaces sont efficaces pour forcer une autorité à plier, elles ne le sont pas pour faire évoluer les mentalités.

Dans la vie, on ne peut convaincre quiconque de changer intimement par la contrainte.

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