Le Journal de Quebec

Créer en 2018

- CLAUDE VILLENEUVE claude.villeneuve@quebecorme­dia.com

Je travaille sur un roman, ça fait plusieurs années. Ça n’avance pas aussi vite que je voudrais, parce que la recherche à effectuer est volumineus­e et que j’ai eu plein d’autres opportunit­és profession­nelles qui m’ont amené ailleurs. Mais je progresse à petits pas et je garde la foi !

Il s’agit d’une histoire dont j’ai récemment parlé ici, celle de mon arrière-arrière-grand-père Onésime Tremblay qui a tout perdu en défendant les cultivateu­rs du Lac-saint-jean, lésés lors du baignage de leurs terres par la constructi­on d’un barrage. C’est une véritable saga que je veux raconter sous la forme de la fiction historique et qui aurait un excellent potentiel pour être adaptée sur d’autres plateforme­s.

D’AUTRES MODÈLES

Mais voilà, je m’interroge. Une de mes motivation­s, c’est que j’aimerais amener de nouveaux héros dans notre espace culturel. Je suis saturé qu’on nous remâche sans cesse les vieilles histoires des pays d’en haut et qu’on ne nous présente comme modèle masculin que des irresponsa­bles comme Alexis ou des avares comme Séraphin.

Une fois, j’ai raconté ça sur mon blogue. J’ai eu une lectrice qui m’a écrit qu’elle était déçue de moi, parce que je reprenais un argument masculinis­te selon lequel les hommes étaient mal dépeints à la télé. Moi qui croyais qu’une façon de mieux éduquer les garçons, c’était de leur offrir de meilleurs modèles. Enfin…

Je m’interroge également, car le noeud de mon histoire se passe dans le Lac-saintJean des années 1920. J’aurai bien quelques personnage­s d’irlandais, une couple d’écossais et quelques Français, mais ça va rester très blanc tout ça, tout simplement parce que c’était la réalité de l’époque.

Vais-je me faire critiquer de ne pas faire de place à la diversité? Si mon oeuvre se retrouve à la télé, va-t-on lui reprocher de ne pas offrir de rôles à des personnes noires? Est-ce que mon Onésime devra être joué par un comédien de descendanc­e africaine? Moi qui pensais plutôt à Normand D’amour…

J’ai bien une anecdote qui me permettrai­t d’introduire des autochtone­s, mais je détiens peu d’informatio­ns à ce sujet et je devrai romancer. Est-ce qu’on m’accusera de m’approprier leur histoire ?

Est-il toujours possible de raconter une histoire comme elle nous est dictée par notre coeur ?

LA VOIX DES FEMMES

De même, mes sources datent de l’époque. Elles font donc très peu mention du rôle des femmes – comme Ariane et Eugénie, l’épouse et la bru d’onésime –, sinon pour les dépeindre comme des saintes qui ont accepté leurs malheurs avec passivité et sans dire un mot. Personnell­ement, je ne crois pas cette version et je veux les raconter plus fortes.

Je sais déjà que j’aurai un gros défi pour donner de l’épaisseur à ces personnage­s. Avec peu de matériel, il va falloir que je travaille avec sensibilit­é pour leur rendre la voix que les sources historique­s ne leur ont pas laissée.

Mais, à ce moment-là, va-t-on m’accuser de parler d’une condition que je ne peux pas comprendre ? De prendre une voix qui n’est pas la mienne ?

Bref, beaucoup de questions et il m’est avis que je ne suis pas le seul à me les poser ces temps-ci.

Faire preuve de sensibilit­é et de respect au moment de parler de la condition des opprimés, j’en suis. Cela dit, est-il toujours possible de raconter une histoire comme elle nous est dictée par notre coeur ?

Présenteme­nt, j’en doute. J’espère me tromper.

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