Le Journal de Quebec

L’art sous tutelle

- JOSÉE LEGAULT Blogueuse au Journal Politologu­e, auteure, chroniqueu­se politique josee.legault@quebecorme­dia.com @joseelegau­lt

De quoi finira bien par accoucher l’« affaire » SLAV, le spectacle monté par Robert Lepage sur des chants d’esclaves noirs ? La question se pose. Surtout, elle inquiète.

Rappelons qu’après des accusation­s de « racisme » lancées par quelques militants contre l’équipe de SLAV, la direction du Festival internatio­nal de jazz de Montréal (FIJM) annulait le spectacle. Bref, le FIJM s’est montré incapable de défendre la liberté de création de M. Lepage, un des artistes les plus respectés de la planète.

Censurer est une chose gravissime. Ses conséquenc­es le sont aussi. Comme je l’ai écrit, un tel geste crée un dangereux précédent. Il finit par ouvrir la porte à d’autres pressions exercées sur d’autres artistes par d’autres lobbys dans le but d’exclure de l’espace public toute oeuvre jugée trop « controvers­ée ».

Le même créateur, Robert Lepage, en fait déjà les frais. Dans une lettre parue dans Le Devoir, un groupe de personnes autochtone­s lui reproche de monter une nouvelle production – Kanata – en rendant leur présence et leur histoire, disent-elles, « invisibles ».

RELECTURE

Présentée plus tard cette année en France, Kanata propose une « relecture de l’histoire du Canada à travers le prisme des rapports entre Blancs et Autochtone­s ».

En réaction, Robert Lepage et Ariane Mnouchkine, directrice du prestigieu­x Théâtre du Soleil, annoncent qu’ils « dialoguero­nt » cette semaine avec les opposants. Sous haute pression depuis la censure de SLAV, M. Lepage est sûrement habité des meilleures intentions.

Force est néanmoins de se demander si « dialogue » il y aura. Ou si, au contraire, la discussion finira en monologue des protestata­ires. En cela, il faut dire que M. Lepage est piégé.

Après l’annulation de SLAV, ne pas échanger avec ces nouveaux opposants lui aurait été reproché. Surtout par ceux pour qui la défense de la liberté artistique constitue l’opinion d’un « camp » et non pas ce qu’elle est vraiment, soit la liberté fondamenta­le de créer.

À l’opposé, lorsqu’il échangera avec eux, si Robert Lepage n’acquiesce pas suffisamme­nt aux demandes des opposants, on le lui reprochera tout autant.

TERRAIN POLITIQUE

Dans la vie, le « dialogue » est toujours souhaitabl­e. En matière artistique, c’est une arme à deux tranchants. Obliger un artiste à dialoguer au préalable avec le sujet de sa création équivaut à le placer sous tutelle. Des lobbys tentent ainsi d’« encadrer » sa liberté d’expression et d’interpréta­tion. Le créateur quitte alors le domaine artistique pour un terrain politique nettement plus miné.

Dans les « affaires » SLAV et Kanata, on assiste aussi à la « racialisat­ion » du processus de création. Robert Lepage s’en trouve réduit à être principale­ment un artiste « blanc » fautif de vouloir réinterpré­ter à sa manière la souffrance réelle et historique de personnes d’ascendance noire ou autochtone.

L’art s’en retrouve ségrégué sur une base raciale ou généalogiq­ue. Or, rien de ce glissement regrettabl­e ne se serait matérialis­é sans la couardise du FIJM ni le silence de ceux et celles qui, au sein de la communauté artistique, craignent eux aussi la controvers­e.

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