Le Journal de Quebec

Un fardeau trop lourd à porter

Il a assisté à la chute mortelle de son ami

- François-david Rouleau l Fdrouleauj­dm c fdavid. rouleau @quebecorme­dia.com

Pour la première fois, Maurice Beauséjour raconte avec émotion comment l’alpiniste Serge Dessureaul­t a perdu la vie sur le K2.

Il y a de ces fardeaux impossible­s à porter seul. Celui d’être témoin, impuissant, de la chute mortelle de son grand ami et comparse en montagne est d’une lourdeur écrasante. Deux semaines après son retour au pays, Maurice Beauséjour n’en pouvait plus. Il a décidé de livrer le récit de l’accident de Serge Dessureaul­t au K2 afin de se libérer d’un poids.

Toute sa vie, il portera les stigmates de cet accident survenu le matin du 7 juillet, sur les flancs de la « montagne sauvage », dans le nord du Pakistan. À environ 6700 mètres d’altitude, sous le second campement, Serge Dessureaul­t a fait une chute mortelle, dont les raisons demeurent encore inconnues.

À quelques centaines de mètres plus bas, Maurice Beauséjour avait assisté à cette chute sans toutefois être persuadé qu’il s’agissait de son grand ami. C’est après le passage du corps qu’il a aperçu sa mitaine distinctiv­e, de couleur rouge et orangée, dégringole­r de la paroi rocheuse.

Dans une totale incompréhe­nsion et vivant d’espoir, il refusait de croire que son pote, avec qui il célébrait ses 20 ans d’épreuves sportives toutes aussi folles les unes que les autres, avait péri sur cette montagne, 1400 mètres plus bas.

RÊVE ANÉANTI

Sa vie, celle de sa collègue Nathalie Fortin et surtout celle de la famille de Serge Dessureaul­t venaient de basculer. Dans une suite d’événements arrachant le coeur, Maurice Beauséjour a descendu le K2 à un rythme effréné pour retrouver son chum et se blottir à ses côtés. Nathalie Fortin était épaulée par l’alpiniste suisse Sophie Lavaud.

Il aura fallu deux jours pour évacuer en hélicoptèr­es de l’armée pakistanai­se Maurice, Nathalie et la dépouille de Serge du camp de base de la « montagne des montagnes », deuxième plus haut sommet du monde culminant à 8611 mètres d’altitude. C’était le rêve de Serge de s’y tenir en tant que premier Québécois à le conquérir. Malgré les abondantes chutes de neige, le sommet était en ligne de mire.

« On voyait que c’était loin d’être une mission impossible. On avait les habiletés et la force pour réussir l’exploit », souligne Maurice Beauséjour. Depuis ce tragique accident, plus de 60 alpinistes ont atteint la cime du K2 cette saison. Un record…

Selon le décompte, on dénombre maintenant près de 450 ascensions au sommet et 85 morts sur cette montagne réputée dangereuse et impitoyabl­e.

LIBÉRER SON ESPRIT

Mais depuis ce drame du 7 juillet, l’homme de 64 ans a jeté sur le papier le fil du terrible événement. D’abord, pour se libérer l’esprit et alléger son coeur chagriné, mais aussi pour expliquer les images tournant sans cesse en boucle dans sa tête.

Maurice a fait parvenir sa longue lettre au représenta­nt du Journal de Montréal ce week-end. Avec son accord et celui de la famille Dessureaul­t, nous en publions des extraits ci-contre ( voir autre texte).

« J’ai essayé de décrire l’histoire le mieux possible. C’est comme regarder un film triste. J’ai livré ce témoignage à Marie-josée [la femme de Serge Dessureaul­t] et ses filles Frédérique et Catherine dès mon retour à Montréal. Je l’ai aussi racontée à ses frères Alain et Sylvain. Il fallait que je mette tout en ordre. »

POUR COMPRENDRE

« C’est un grand soulagemen­t que de l’avoir écrit, poursuit celui dont la version intégrale poignante est disponible sur la page Facebook de l’expédition Serge Dessureaul­t, Maurice Beauséjour et Nathalie Fortin au K2. J’avais besoin de le faire. Ça n’efface pas le deuil et la

peine, mais les gens peuvent comprendre. »

Deux semaines après l’accident, Nathalie essaie de « vivre avec la belle énergie de Serge » dans son quotidien. Elle est la dernière à lui avoir parlé sur la montagne.

« Je ne veux pas vivre un choc post-traumatiqu­e. Je veux aller chercher l’aide nécessaire pour passer à travers cette épreuve. Nous avons vécu le transport, raconte la femme de 49 ans. Ce n’est pas comme un accident en ville où les services d’urgence prennent en charge la situation. J’ai encore des images en tête. Elles m’aident à comprendre et faire mon deuil. C’était irréel. »

Avec la collaborat­ion de ses confrères de travail du Service de sécurité incendie de Montréal, la dépouille de Serge Dessureaul­t, pompier de 53 ans et capitaine de la caserne 19, sera d’abord exposée en chapelle ardente à la crypte de l’oratoire Saint-joseph, jeudi après-midi. La famille recevra ensuite les condoléanc­es samedi et dimanche au Centre multifonct­ionnel Francine-gadbois, à Bouchervil­le.

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PHOTO COURTOISIE JEAN-PIERRE DANVOYE En 20 ans d’aventures, Serge Dessureaul­t et Maurice Beauséjour en ont vécu des histoires. La dernière, au K2, sera très douloureus­e alors que Maurice a perdu tragiqueme­nt son grand copain, le 7 juillet 2018.
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Lieu de l’accident (6700 mètres d’altitude)

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