Un fardeau trop lourd à porter
Il a assisté à la chute mortelle de son ami
Pour la première fois, Maurice Beauséjour raconte avec émotion comment l’alpiniste Serge Dessureault a perdu la vie sur le K2.
Il y a de ces fardeaux impossibles à porter seul. Celui d’être témoin, impuissant, de la chute mortelle de son grand ami et comparse en montagne est d’une lourdeur écrasante. Deux semaines après son retour au pays, Maurice Beauséjour n’en pouvait plus. Il a décidé de livrer le récit de l’accident de Serge Dessureault au K2 afin de se libérer d’un poids.
Toute sa vie, il portera les stigmates de cet accident survenu le matin du 7 juillet, sur les flancs de la « montagne sauvage », dans le nord du Pakistan. À environ 6700 mètres d’altitude, sous le second campement, Serge Dessureault a fait une chute mortelle, dont les raisons demeurent encore inconnues.
À quelques centaines de mètres plus bas, Maurice Beauséjour avait assisté à cette chute sans toutefois être persuadé qu’il s’agissait de son grand ami. C’est après le passage du corps qu’il a aperçu sa mitaine distinctive, de couleur rouge et orangée, dégringoler de la paroi rocheuse.
Dans une totale incompréhension et vivant d’espoir, il refusait de croire que son pote, avec qui il célébrait ses 20 ans d’épreuves sportives toutes aussi folles les unes que les autres, avait péri sur cette montagne, 1400 mètres plus bas.
RÊVE ANÉANTI
Sa vie, celle de sa collègue Nathalie Fortin et surtout celle de la famille de Serge Dessureault venaient de basculer. Dans une suite d’événements arrachant le coeur, Maurice Beauséjour a descendu le K2 à un rythme effréné pour retrouver son chum et se blottir à ses côtés. Nathalie Fortin était épaulée par l’alpiniste suisse Sophie Lavaud.
Il aura fallu deux jours pour évacuer en hélicoptères de l’armée pakistanaise Maurice, Nathalie et la dépouille de Serge du camp de base de la « montagne des montagnes », deuxième plus haut sommet du monde culminant à 8611 mètres d’altitude. C’était le rêve de Serge de s’y tenir en tant que premier Québécois à le conquérir. Malgré les abondantes chutes de neige, le sommet était en ligne de mire.
« On voyait que c’était loin d’être une mission impossible. On avait les habiletés et la force pour réussir l’exploit », souligne Maurice Beauséjour. Depuis ce tragique accident, plus de 60 alpinistes ont atteint la cime du K2 cette saison. Un record…
Selon le décompte, on dénombre maintenant près de 450 ascensions au sommet et 85 morts sur cette montagne réputée dangereuse et impitoyable.
LIBÉRER SON ESPRIT
Mais depuis ce drame du 7 juillet, l’homme de 64 ans a jeté sur le papier le fil du terrible événement. D’abord, pour se libérer l’esprit et alléger son coeur chagriné, mais aussi pour expliquer les images tournant sans cesse en boucle dans sa tête.
Maurice a fait parvenir sa longue lettre au représentant du Journal de Montréal ce week-end. Avec son accord et celui de la famille Dessureault, nous en publions des extraits ci-contre ( voir autre texte).
« J’ai essayé de décrire l’histoire le mieux possible. C’est comme regarder un film triste. J’ai livré ce témoignage à Marie-josée [la femme de Serge Dessureault] et ses filles Frédérique et Catherine dès mon retour à Montréal. Je l’ai aussi racontée à ses frères Alain et Sylvain. Il fallait que je mette tout en ordre. »
POUR COMPRENDRE
« C’est un grand soulagement que de l’avoir écrit, poursuit celui dont la version intégrale poignante est disponible sur la page Facebook de l’expédition Serge Dessureault, Maurice Beauséjour et Nathalie Fortin au K2. J’avais besoin de le faire. Ça n’efface pas le deuil et la
peine, mais les gens peuvent comprendre. »
Deux semaines après l’accident, Nathalie essaie de « vivre avec la belle énergie de Serge » dans son quotidien. Elle est la dernière à lui avoir parlé sur la montagne.
« Je ne veux pas vivre un choc post-traumatique. Je veux aller chercher l’aide nécessaire pour passer à travers cette épreuve. Nous avons vécu le transport, raconte la femme de 49 ans. Ce n’est pas comme un accident en ville où les services d’urgence prennent en charge la situation. J’ai encore des images en tête. Elles m’aident à comprendre et faire mon deuil. C’était irréel. »
Avec la collaboration de ses confrères de travail du Service de sécurité incendie de Montréal, la dépouille de Serge Dessureault, pompier de 53 ans et capitaine de la caserne 19, sera d’abord exposée en chapelle ardente à la crypte de l’oratoire Saint-joseph, jeudi après-midi. La famille recevra ensuite les condoléances samedi et dimanche au Centre multifonctionnel Francine-gadbois, à Boucherville.