Un ministère veut protéger, l’autre veut raser
Une pourvoirie de Lanaudière est menacée de coupes à blanc, bien qu’un projet d’aire protégée y soit étudié
Le propriétaire d’une des plus petites pourvoiries du Québec craint de tout perdre, car le gouvernement prévoit raser le quart de son territoire.
« Il y a des cèdres tellement gros que je ne peux pas faire le tour avec mes bras. C’est magnifique. Quand je pense qu’ils veulent couper ça, je n’en dors plus la nuit », souffle Sébastien Borgeaud, tandis qu’un couple de huards hulule sur le lac à ses pieds.
Ce jeune père de famille est propriétaire de la pourvoirie Pavillon Basilières, une exploitation de 20 km2, située à 1 h 30 de Montréal, à Saint-zénon.
Ici, la protection de l’environnement, on y croit et on ne lésine pas sur les investissements. L’entreprise a élaboré un projet d’écotourisme impliquant plus d’un demi-million de dollars d’investissement pour créer un camping flottant sur un lac.
Panneaux solaires, chaloupes électriques, cueillette de champignons, yoga sur l’eau, etc. Tout y est pour attirer les touristes internationaux avides d’aventures vertes, une clientèle clef selon le ministère du Tourisme.
FINANCEMENT
Mais, M. Borgeaud a mis le projet sur la glace depuis qu’en 2014, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) lui a soumis des cartes de coupes forestières qui laisseraient les scieries raser la forêt tout autour du lac qu’il veut justement développer.
« Aucun investisseur ne peut risquer de tels investissements sans garanties que le paysage ne sera pas détruit », dit l’entrepreneur.
Pour stopper le ministère, il a embauché un avocat. Mais Québec revient à la charge chaque année. « Le gouvernement organise des rencontres à n’en plus finir en sachant bien que ça nous coûte cher. Il veut nous avoir à l’usure », dit-il.
L’état a pourtant lui-même financé l’étude de faisabilité du projet de camping, indique M. Borgeaud. Il calcule que son projet serait admissible à 75 % de financement public à l’aide de subventions diverses.
« Le gouvernement donne d’une main et reprend de l’autre, c’est ridicule », gronde-t-il.
AIRE PROTÉGÉE
L’entrepreneur souligne que la récolte de bois peut être bénéfique pour la forêt, mais qu’elle doit être faite dans le respect de l’activité touristique et pensée à long terme.
Ceci, d’autant plus que le ministère de l’environnement étudie la possibilité d’inclure la pourvoirie dans le réseau d’aires protégées de Lanaudière.
Le ministère indique au Journal que le secteur, en plus de jouir d’une « faible empreinte humaine », présente « un type d’écosystème peu représenté dans le réseau régional d’aires protégées », d’où son intérêt pour la conservation.
INGÉRENCE
Le ministère des Forêts refuse de se positionner sur les projets de conservation. « Le MFFP outrepasserait ses responsabilités et ferait de l’ingérence s’il se positionnait en faveur ou en défaveur », indique le porte-parole, Sylvain Carrier.
« Et de proposer des coupes dans ces mêmes territoires, ils ne considèrent pas ça comme de l’ingérence ? Je croirais rêver », réplique le biologiste Pier-olivier Boudreault, de la Société pour la nature et les parcs (SNAP).
« Il y a des ministères qui sont des embûches à l’atteinte de la cible de 17 % d’aires protégées d’ici 2020, et le MFFP en est un », ajoute-t-il.
La semaine dernière, Le Journal révélait que ce ministère souhaite concentrer la plupart des aires protégées de la province dans les régions inaccessibles du nord, pour laisser le sud aux compagnies forestières.
En attendant, le pourvoyeur de Saint-zénon se demande s’il lui restera des arbres où construire des cabanes à ses enfants.