Le Journal de Quebec

La mort désacralis­ée

Je sais, le titre n’appelle pas au plaisir alors que nous sommes au coeur des vacances de la constructi­on. Mais quand avons-nous le temps de réfléchir à des situations aussi graves que complexes si ce n’est pendant les vacances ?

- LISE RAVARY lise.ravary@quebecorme­dia.com

Mais au-delà de la première génération, qui aujourd’hui s’intéresse aux lieux de sépulture de ses aïeux ?

J’ai été interpellé­e par l’histoire de cette femme en Estrie, Cynthia Costigan, qui a retrouvé la pierre tombale d’une de ses ancêtres, Sara Marie Murphy, sous l’ancienne église de Spooner Pond à Cleveland, Québec. Une autre se trouve plus loin sous la bâtisse.

C’était dans Le Journal d’hier, sous la plume de Caroline Lepage.

LES PASSAGES DE LA VIE

Depuis la nuit des temps, l’être humain invente des rituels pour sacraliser les grands événements de la vie : la naissance, l’entrée dans l’âge adulte, l’union amoureuse et la mort. De la même façon que l’on clôture un lieu spécial, les cérémonies créent une démarcatio­n entre l’ordinaire et l’extraordin­aire. Elles annoncent qu’il s’agit d’événements uniques dans une vie.

La religion s’est approprié le monopole des passages de la vie. Peu de choses sont aussi émouvantes que les rites catholique­s solennels, avec leurs vêtements sacerdotau­x spéciaux, les grandes orgues, les choeurs, les fleurs, les cierges, l’encens qui monte à la tête. Les protestant­s, les juifs et les musulmans sont moins extravagan­ts, mais leurs rituels tirent leur sens de leur simplicité.

Mais qu’arrivera-t-il quand plus personne ne se mariera ? Quand tout le monde sera incinéré sans autre cérémonie ? Un party ou un dîner peuvent-ils remplacer un rite centenaire ? Quels souvenirs ces non-événements vont-ils laisser dans la mémoire des survivants ?

Dans l’affaire Costigan, le vicaire de l’archidiocè­se de Sherbrooke, Guy Boulanger, expliquait qu’il n’avait jamais vu des pierres tombales servir de matériau de constructi­on, mais qu’elles sont la propriété des proches qui ont la responsabi­lité de les entretenir. Mais au-delà de la première génération, qui aujourd’hui s’intéresse aux lieux de sépulture de ses aïeux ? Autrefois, les terrains étaient « vendus » à perpétuité. Depuis 1995, le Code civil limite le droit de concession à cent ans.

Ce n’est pas pour rien.

CYCLISTES EN FOLIE

Et puis, qui se fait enterrer de nos jours ? On passe au four, plus simple et moins cher, et hop ! l’urne se retrouve sur le manteau de la cheminée pour l’éternité. Mais d’ici là, les cimetières ont encore une vocation spirituell­e.

La semaine dernière, la direction du cimetière Notre-dame-des-neiges sur le mont Royal a dû mettre son pied à terre et interdire l’accès aux sentiers par les cyclistes. Des tentatives de médiation avaient été entreprise­s dans le passé, mais rien à faire, ces malotrus qui utilisent le cimetière comme s’ils s’entraînaie­nt pour le Tour de France ont continué leur manège. Menaçant piétons, enfants, écureuils, sans respect pour les personnes venues se recueillir sur la tombe des gens qu’ils ont aimés.

Quand la vue de la douleur d’un être en deuil n’impose pas le respect, je me dis qu’il n’y a pas que la mort qui a été désacralis­ée, la vie aussi.

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Cynthia Costigan Résidente de l’estrie

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