Le Journal de Quebec

Félix, toujours actuel

Trente ans après la mort de son père, la fille de Félix toujours émue par les mots du poète

- CÉDRIC BÉLANGER

SAINT-PIERRE DE L’ÎLE D’ORLÉANS | « Le poète s’est tu. » C’est ainsi que Le Journal a annoncé, il y a trente ans, la mort de Félix Leclerc. Le Québec venait de perdre une de ses plus grandes voix. Le monde de sa fille Nathalie, alors âgée de 19 ans, venait de s’écrouler.

« Ma fin du monde à moi. » Voilà comment Nathalie Leclerc se remémore ce 8 août 1988. Le jour où son célèbre père a passé l’arme à gauche, tout doucement, dans son sommeil, sur son île d’orléans qu’il a tant vénérée et chantée. Parti avec ses souliers et son p’tit bonheur.

Ce matin-là, en entendant sa maman, Gaétane Morin, lui murmurer « c’est fini », dans le stationnem­ent rempli de voitures de la maison familiale, Nathalie Leclerc a perdu pied.

Le choc était immense. Félix avait 74 ans, et, même s’il souffrait depuis plusieurs années de troubles pulmonaire­s, son médecin venait de dire qu’il avait une santé assez forte pour vivre un autre dix ans.

« Je l’aimais beaucoup. Nous étions très fusionnels. Alors, je me suis écroulée comme dans un film. J’avais tellement mal que je ne pouvais pas crier. C’était un coup dans le ventre. Je me suis laissée glisser par terre, accotée sur le garage, avec la bouche grande ouverte. Aucun son. Plusieurs mois après, maman m’a dit qu’elle n’avait jamais vu une souffrance aussi grande. »

« IL M’A FAIT DU BIEN »

Pendant six ans, elle s’est tenue loin de l’oeuvre de son père. « Après, je me suis mise à réécouter ses chansons et, au lieu de brailler comme une malade, il m’a fait du bien. »

Cet effet apaisant a été durable. Pendant l’heure et demie passée en sa compagnie, Nathalie Leclerc n’a jamais effacé le sourire qui illuminait son visage. « Il me fait encore rire quand je pense à ses farces », dit-elle.

Et quand les larmes coulent, ce n’est plus de la tristesse qu’elles expriment. « Je m’ennuie de lui bien sûr. J’aurais aimé ça qu’il soit là quand maman est morte (Gaétane Morin a rendu l’âme en avril dernier). Mais maintenant, je pleure de beauté quand je lis ses mots et ses phrases magnifique­s qu’il a écrits. »

« C’ÉTAIT UN ÉCRIVAIN… »

À travers l’espace Félix-leclerc, qu’elle a créé et tenu à bout de bras pendant quinze ans avant de démissionn­er récemment pour se lancer en politique comme candidate du Parti québécois, Nathalie Leclerc a gardé Félix vivant pour tous ceux qui ont aimé le poète et ceux qui l’ont découvert au cours des trois dernières décennies.

On peut d’ailleurs encore le voir, assis près d’un arbre, guitare à la main, dans le champ situé de l’autre côté de la route. Félix, qui aurait 104 ans aujourd’hui, est toujours au travail.

Sa fille avait insisté pour que cette sculpture, née du travail de l’artiste Daniel Saint-martin, en 2014, aboutisse dans la nature et non dans l’environnem­ent immédiat du bâtiment qui porte son nom. « C’était un écrivain, mon père », lance-t-elle. Et écrire, pour Félix, ça se passait au grand air.

UNE AFFAIRE DE FAMILLE

Ses frères ont aussi contribué à perpétuer la mémoire de Félix. En 2017, Francis a présenté Pieds nus dans l’aube, un film qui utilisait comme squelette le récit que faisait Félix de son enfance à La Tuque dans un roman.

Le plus vieux de la famille, Martin, né de l’union de son père avec Andrée Vien, a pour sa part tourné un documentai­re sur la restaurati­on de la Maison Félix-leclerc de Vaudreuil-dorion, lieu de résidence de Félix, de 1956 à 1967, avant qu’il ne gagne pour de bon l’île d’orléans.

C’est sans compter toutes ces rues, ces avenues, ces bibliothèq­ues, et même l’autoroute 40, qui portent son nom un peu partout sur le territoire québécois.

Or, ce qui fait le plus plaisir à Nathalie Leclerc, ce sont ces témoignage­s sortis de nulle part, comme celui de ce rockeur aux bras ornés de tatouages. « Il m’a donné une p’tite bine en me disant : crisse qu’il est cool ton père. Il m’a fait du bien. »

Il n’est pas le seul.

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PHOTO SIMON CLARK Nathalie Leclerc auprès d’une sculpture à l’image de son père, à l’île d’orléans, le 31 juillet.

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