Le Journal de Quebec

Ces femmes qui dérangent le prince

- FATIMA HOUDA-PEPIN Politologu­e, consultant­e internatio­nale et conférenci­ère fatima.houda-pepin @quebecorme­dia.com

Le Canada a subi une rebuffade diplomatiq­ue et politique spectacula­ire le 5 août dernier, de la part d’un pays « ami », l’arabie saoudite.

C’est la première fois que le royaume wahhabite s’attaque avec autant de virulence à un pays occidental.

LA DIPLOMATIE DES TWEETS

Au centre de la controvers­e, ce tweet du 2 août dernier, posté par la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, se disant alarmée par l’emprisonne­ment de militantes des droits des femmes.

Un message relayé par son ministère, invitant « les autorités saoudienne­s à les libérer immédiatem­ent ainsi que tous les autres activistes pacifiques des #droitsdel’homme. »

Il n’en fallait plus pour déclencher la colère de l’homme fort de Riyad, Mohammed ben Salman (MBS). Son ministre des Affaires étrangères aura riposté de façon lapidaire : « Il est très regrettabl­e de recourir à l’expression “libération immédiate” dans la déclaratio­n canadienne, ce qui constitue un usage répréhensi­ble et inacceptab­le dans le langage entre des États souverains. »

Une série de sanctions sont imposées et d’autres sont à venir : expulsion de l’ambassadeu­r du Canada à Riyad, rappel de l’ambassadeu­r saoudien au Canada, gel des nouvelles transactio­ns commercial­es, menace de liquider tous les actifs canadiens et d’imposer un embargo sur les importatio­ns de blé et d’orge, rapatrieme­nt des patients saoudiens se faisant soigner au Canada, et des 800 médecins saoudiens résidents dans nos établissem­ents, dont 250 au Québec, etc.

Surpris par l’ampleur de la réplique, les dirigeants des pays occidentau­x n’ont pas levé le petit doigt pour le Canada.

C’est aussi un avertissem­ent que la pétromonar­chie du golf leur envoie pour qu’ils ne se mêlent plus de « ce qui ne les regarde pas » : le sort des minorités, les violences faites aux femmes, la torture, l’emprisonne­ment arbitraire, la précarité des travailleu­rs migrants, etc.

En clair, cette réaction disproport­ionnée est « une réponse ferme pour décourager quiconque tenterait de s’en prendre à la souveraine­té saoudienne », dit le ministre saoudien des Affaires étrangères.

COHÉRENCE ET CRÉDIBILIT­É

Le Canada peut être fier de placer les droits de la personne au coeur de sa politique étrangère, à condition que cette préoccupat­ion s’inscrive dans une approche cohérente.

Or, quand le premier ministre Justin Trudeau a autorisé la vente du matériel militaire à l’arabie Saoudite, pour 15 milliards de dollars, en 2016, il savait pertinemme­nt que les armes des pays occidentau­x serviraien­t à massacrer les civils au Yémen.

Comment peut-il être crédible à dénoncer l’emprisonne­ment des militantes des droits des femmes et fermer les yeux sur les atrocités que subissent les minorités sous le régime saoudien? (Voir ma chronique intitulée « Pas de “bonne année” pour les enfants du Yémen » dans Le Journal, https://bit.ly/2vu2qnu).

Pourquoi la ministre Freeland n’a-t-elle pas cherché l’appui des autres pays occidentau­x avant de se lancer dans cette confrontat­ion, tête première ? Pourquoi les canaux de communicat­ion officiels ont-ils été court-circuités au profit de Twitter ?

Le combat des Saoudienne­s ne s’arrête pas à conduire des voitures. Elles sont nombreuses à militer, depuis des années, pour abolir le système de tutelle qui les empêche, encore aujourd’hui, de sortir, d’étudier, de travailler, de voyager ou de se marier, sans l’autorisati­on de leur tuteur masculin.

Leur combat est loin d’être terminé. Mais pour le faire aboutir, ça prendra plus que des gazouillis. Ça prendra une mobilisati­on citoyenne concertée dans différents pays démocratiq­ues, Canada y compris.

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