Le Journal de Quebec

Quand la musique de l’un est le vacarme de l’autre

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Peu de choses sont plus agréables, aux oreilles des passionnés de mécanique et de performanc­e que le hurlement d’un V12 Ferrari, le rugissemen­t d’un V8 de Corvette ou le chant rauque d’un cinq cylindres Audi à plein régime.

C’est un plaisir viscéral à peu près impossible à expliquer ou justifier. On adore ou on déteste. Le problème est évidemment de savoir comment les premiers peuvent le goûter pleinement sans gêner ou faire enrager les autres.

Chose certaine, en mécanique comme en musique, la qualité du son doit primer sur sa quantité. Par chance, l’électroniq­ue offre la possibilit­é de moduler à volonté, ou presque, la sonorité de l’échappemen­t et le niveau sonore des voitures et autres véhicules.

La division AMG de Mercedes-benz joue cette carte de façon magistrale depuis des années. En appuyant sur un bouton qui actionne des clapets dans le système d’échappemen­t, on jurerait être dans une voiture NASCAR à Daytona. On touche le même bouton et c’est à peine si on entend ronronner le V8 qui tourne sous le capot. Ford vient aussi de faire la même chose pour la Mustang 2019.

UNE NOUVELLE ÈRE DÉJÀ AMORCÉE

Aucun doute que les voitures à propulsion électrique vont changer la donne dans ce domaine, même si elles sont loin d’être parfaiteme­nt silencieus­es. Sauf à faible vitesse. Ce qui exigera d’ailleurs l’ajout d’un dispositif sonore pour prévenir piétons et cyclistes de leur présence. Le silence a ses limites, lui aussi.

La multiplica­tion des moteurs électrique­s s’observe déjà en compétitio­n, au plus haut niveau. En plus de la désormais célèbre formule E, le Championna­t mondial de rallycross de la FIA sera tout électrique dès 2020. On parle ici de petits monstres à rouage intégral qui sont actuelleme­nt propulsés par des moteurs de 600 chevaux.

Le niveau sonore des voitures les plus rapides a aussi chuté radicaleme­nt aux 24 Heures du Mans puisque cette grande classique a été dominée, depuis 2006, par des voitures à moteur diesel et à groupe propulseur hybride. Et puisque nous y sommes, avezvous entendu des plaintes au sujet du bruit durant le Grand Prix depuis que les formules 1 sont hybrides, elles aussi ? Même les mordus se sont habitués à leur sonorité moins assourdiss­ante. Littéralem­ent.

MÉFAITS DE LA MINORITÉ BRUYANTE

Sur la route, automobili­stes et motocyclis­tes subissent les effets du comporteme­nt de minorités très bruyantes. Ce sont elles qui provoquent la colère des passants et du bon peuple. Tous les autres en payent le prix. En perception, à tout le moins.

La Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) vient de lancer un « projet-pilote » de trois ans qui doit vérifier le niveau sonore de l’échappemen­t des motos et cyclomoteu­rs, au moyen de sonomètres. Les premières cibles sont forcément les motos modifiées, surtout américaine­s, qui promènent une paire d’échappemen­ts droits, sans aucun silencieux.

Rions ensemble de l’argument selon lequel un échappemen­t bruyant sauve des vies ( loud pipes save lives). Parce que près de 40 % des accidents de moto sont causés par une erreur du pilote et plus de 50 % par un autre véhicule, venant surtout de l’avant, qui n’a donc aucune chance d’entendre même les plus bruyants des straight pipes. La conduite défensive et un équipement de protection complet et visible sont des alliés infiniment meilleurs.

Pour ce qui est des voitures, la SAAQ interdit simplement que tout échappemen­t remplacé ou modifié soit plus

Chose certaine, en mécanique comme en musique, la qualité du son doit primer sur sa quantité.

bruyant que l’équipement d’origine. Là encore, une sonorité plus basse et ronde n’est pas nécessaire­ment plus forte. Seul le sonomètre le sait.

TERRAINS DE JEU SÉRIEUX

Je m’inquiète surtout pour les circuits et pistes d’essais de la province. Ces seuls endroits où il est possible d’explorer les limites d’une machine en toute légalité, avec un maximum de sécurité. Parce que le nombre de décès a augmenté de 63 % l’an dernier pour les jeunes de 15 à 24 ans. Et surtout parce que je me souviens parfaiteme­nt du jeune conducteur que j’étais, fou des voitures et fasciné par la vitesse.

J’aurais sans doute profité de ces journées et soirées où les circuits ICAR, Sanair, Saint-eustache et autres offrent aux conducteur­s de pousser leurs voitures sur piste, à peu de frais. J’aurais sans doute mérité aussi une contravent­ion pour l’échappemen­t tronqué à la scie de ma belle Epic GT. Notez que c’était bien avant l’époque des catalyseur­s.

Or, l’existence même de ces circuits est menacée. On sait déjà que l’autodrome Saint-eustache disparaîtr­a l’an prochain, après une quarantain­e d’années, malgré un jugement favorable rendu par la Cour supérieure du Québec il y a plus de 20 ans. La raison : toujours le bruit, confirme Alan Labrosse, qui dirige l’entreprise avec ses fils depuis une douzaine d’années. Ils en auraient pris encore vingt.

Je suis attaché à ces circuits où j’ai bouclé un ou deux milliers de tours et où j’ai fait mon métier de journalist­e automobile dans les meilleures conditions possible. J’en souhaite autant à mes collègues et à tous les passionnés, filles ou garçons, jeunes et moins jeunes.

Il suffirait que tous les circuits, tous les clubs ou écoles de pilotage, toutes les associatio­ns et fédération­s de tous les sports mécaniques s’entendent sur un contrôle strict et intelligen­t du bruit de toutes les machines.

Et aussi sur des horaires et calendrier­s qui respectent le droit des voisins à une vie sans vacarme. Voilà une chose que nous pouvons tous comprendre.

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