L’anglais de François Legault
Il y a quelques années, il était bien vu de se moquer de l’anglais de Pauline Marois. C’était une manière de la regarder de haut et de la traiter comme une habitante incapable de sortir de sa province.
On l’écoutait se dépatouiller en anglais, et on en jouissait à la manière de la petite brute qui aime voir les autres souffrir.
HUMILIATION
Cette année, c’est au tour de François Legault de subir ce mauvais sort. Sur les réseaux sociaux, un petit montage vidéo circule où on voit le chef caquiste s’exprimer plus que péniblement en anglais. Et la plupart du temps, pour ne pas dire chaque fois, celui qui partage la vidéo l’accompagne d’un commentaire du genre : « Comment peut-il vouloir devenir premier ministre s’il parle aussi mal anglais ? »
Pire encore, des souverainistes, par esprit partisan, partagent cette vidéo en l’accompagnant de commentaires mesquins. On croyait pourtant ces derniers attachés à l’idée d’un Québec français.
Il y a bien des manières de critiquer François Legault, mais celle-là est abjecte. Elle n’entend pas critiquer, mais humilier.
Sans trop s’en rendre compte, ces esprits moqueurs se comportent comme de parfaits colonisés complexés. Ils ont intériorisé le préjugé qui veut que l’anglais soit la langue normale et qu’il faille parfaitement la maîtriser si on veut accéder aux plus hautes fonctions. En gros, ils se regardent avec les yeux de ceux qui les ont historiquement dominés.
Qu’on se comprenne bien. Parler anglais est un plus dans notre monde. Mais on ne saurait sérieusement faire de la parfaite maîtrise de l’anglais un critère obligatoire pour devenir premier ministre. Tout simplement parce que l’anglais n’est pas notre langue maternelle et que tous n’ont pas le don des langues.
Et qu’on ne s’inquiète pas : lorsqu’il ira à l’étranger, que ce soit au
L’anglais n’a pas à être obligatoire chez nous.
Canada ou ailleurs, Legault aura des interprètes, comme tous les autres chefs de gouvernement dans le monde.
Tout cela est révélateur de notre rapport névrotique à l’anglais. Il faudrait le parler « sans accent » pour réussir dans la vie. Mais où, dans le monde, parle-t-on anglais sans accent ? À Londres ? À Sydney ? À New York ? En fait, quand un Québécois se vante de parler anglais sans accent, il se vante de parvenir à masquer son origine québécoise. En d’autres mots, cette fierté masque une honte.
RÉGRESSION
L’élection à venir, pour la première fois dans notre histoire, mettra en scène un débat des chefs en anglais. Au Québec, où le français est la seule langue officielle, quatre chefs politiques « de souche » débattront entre eux en anglais, à la manière de comédiens se livrant à une pièce de mauvais théâtre. Ce sont quatre francophones qui enterreront le français comme langue commune, pour n’en faire qu’une langue sur deux.
Il y aura quelque chose de misérable dans ce spectacle dont l’idée aurait pu sortir de la tête d’elvis Gratton.
D’une année à l’autre, le français perd du terrain, et son statut symbolique régresse. Et de plus en plus, les Québécois francophones sont complices de cette régression.