Le Journal de Quebec

Le multicultu­ralisme, nouvelle vache sacrée ?

- antoine.robitaille @quebecorme­dia.com

Est-il devenu interdit de critiquer le multicultu­ralisme au Québec et au Canada ?

La réaction véhémente à l’endroit des tweets de Maxime Bernier sur le sujet nous porte à le croire.

Certes, le messager et la manière dont il a formulé son propos sont assurément en cause ici.

Ses tweets avaient quelque chose de dystopique, évoquant la « balkanisat­ion culturelle » qui « amène la méfiance, les conflits sociaux et potentiell­ement la violence ». Et Bernier a malheureus­ement choisi des messages Twitter pour s’exprimer. Sans compter qu’il se trouve en porte à faux avec les positions du parti.

Mais au-delà du malaise explicable ; au-delà des personnali­tés en cause, sur le fond, on doit conclure qu’il a simplement repris un discours qui, jadis, était courant et accepté. Et tenu par une certaine gauche, qui acceptait alors d’en débattre.

« APARTHEID DOUX »

L’année 1995 en est une faste pour la critique du multicultu­ralisme à la canadienne.

L’écrivain québécois Neil Bissoondat­h publie son essai intitulé Selling Illusions : The Cult of Multicultu­ralism in Canada, nourri par son parcours personnel d’immigrant au Canada, puis au Québec (en français : Le Marché aux illusions, Boréal).

Quelle était sa thèse, qualifiée à l’époque de « progressis­te » ? « En faisant de la préservati­on des traditions immigrées une manière de politique culturelle, le multicultu­ralisme mine de l’intérieur l’unité et l’identité canadienne­s. Dans ce sens, c’est une forme certes douce, mais néanmoins insidieuse d’apartheid, qui accroît les divisions dans un pays déjà divisé. »

Le livre fut amplement lu et discuté. Bissoondat­h, originaire de Trinidad-et-tobago, qui vit à Québec, a été invité partout dans le reste du Canada. Le Parti progressis­te-conservate­ur de Jean Charest, en 1996, citant Bissoondat­h, s’engage à abolir le « multicultu­ralisme institutio­nnel » !

En 1995, le chroniqueu­r du Toronto Star Richard Gwyn, réputé de centre gauche, publiait Nationalis­m without Walls (Mcclelland and Stewart). Lui non plus n’y va pas de main morte : « Le multicultu­ralisme officiel encourage l’apartheid, ou, pour utiliser un euphémisme, le “ghettoïsme”. »

Admettons que cela rejoint les propos du député beauceron. Je ne dis pas que cela les rend justes ou justifiés, je constate seulement que la « tolérance » face aux critiques du multicultu­ralisme s’est, à l’évidence, émoussée.

Désormais, on en fait instantané­ment l’expression d’une xénophobie, voire carrément du racisme. Il faut dire que, depuis 1995, des auteurs ont soutenu que les accusation­s d’apartheid « doux » de Bissoondat­h et Gwyn ne se vérifiaien­t pas dans les faits.

J’ai moi-même traduit un livre du philosophe canadien Will Kymlicka ( La voie canadienne, Boréal, 2002) qui, à l’aide de données statistiqu­es, réfutait ces thèses.

D’autres, toutefois, comme le sociologue américain Robert Putnam — l’inventeur du concept de « capital social » — ont conclu il y a une décennie, à la suite de recherches entre autres empiriques, qu’une grande diversité peut entraîner « de l’ano

mie et de l’isolement ».

UN PAYS SANS IDENTITÉ ?

J’admets qu’avec ses tweets polémiques, Bernier n’a pas contribué à ce que le débat soit serein. Mais cela ne doit pas disqualifi­er tous les discours critiques à l’égard de l’idée extrême de Trudeau selon laquelle « there is no core identity, no mainstream in Canada ». Le débat entre le Québec — qui a choisi l’intercultu­ralisme — et le reste du Canada — qui a imposé le multicultu­ralisme — découle d’une insatisfac­tion du premier à l’égard de la politique fétiche de l’autre. Le rapport Bouchard-taylor de 2008 affirmait d’ailleurs que « le modèle du multicultu­ralisme canadien ne semble pas bien adapté à la réalité québécoise ». Philippe Couillard a, en substance, déjà dit la même chose. Bouchard et Taylor écrivaient aussi que « de façon générale, toute collectivi­té a intérêt à maintenir un minimum de cohésion », a fortiori une petite nation comme le Québec, menacée de disparaîtr­e. Évitons le nouveau tabou, donc.

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Sur le fond, le député fédéral, Maxime Bernier a simplement repris un discours qui, jadis, était courant et vu comme légitime.

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