Votre compte bancaire scruté à la loupe
Le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) compte 350 employés
Tous les jours, votre banque, votre assureur ou encore votre prêteur hypothécaire transmettent les détails de dizaines de milliers de transactions au gouvernement fédéral, une pratique qui soulève de nombreuses inquiétudes en matière de protection de la vie privée.
La plupart des Canadiens ignorent que leur compte de banque et l’argent qui en sort sont épiés par leur institution financière… et par Ottawa.
Chaque année, le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) reçoit et analyse les renseignements de plus de 23 millions de transactions en tous genres, au nom de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes.
Mais les institutions financières, le gouvernement et les forces de l’ordre vont peut-être trop loin. C’est ce qu’avancent deux chercheurs, auteurs d’une étude qui vient d’être publiée dans le British Journal of Criminology.
PLUS SURVEILLÉ QUE JAMAIS
« On est davantage surveillé aujourd’hui que nous n’aurions jamais pu l’imaginer », affirme en entrevue la professeure Vanessa Iafolla.
La recherche, menée en collaboration avec le professeur Anthony Amicelle de l’université de Montréal, a révélé que le CANAFE et les employés des banques surveillent de près leurs clients, non seulement pour se protéger contre la fraude, mais aussi pour récolter des informations sur les activités financières jugées « suspectes ».
« Ces employés de banque mènent des activités de surveillance au nom de l’état. Ils s’appuient fortement sur leurs propres idées, de concert avec les indicateurs que les banques peuvent leur fournir », affirme Mme Iafolla, qui étudie le blanchiment d’argent à l’université de Waterloo.
« Ces indicateurs sont [imprécis]. Les idées et préjugés de ces personnes sur le genre, la race, l’âge, et la suspicion finissent par influencer ce qui est signalé au CANAFE. »
UN ORGANISME MÉCONNU
Créé en 2001, ce centre compte 350 employés, pour un budget annuel de 55 millions $.
Le mandat principal du CANAFE est de recevoir et d’analyser des « rapports de transactions financières », afin de fournir des renseignements financiers utiles aux agences de police, d’application de la loi et de sécurité nationale du Canada.
« Tout ça est entreposé dans un serveur à Ottawa. À mon sens, c’est important d’être conscient de ce qu’il se passe et de chercher à comprendre si le travail effectué l’est de la meilleure façon possible. Je comprends qu’on doive oeuvrer contre le blanchiment, mais ce processus de vérification et de surveillance pourrait être mené de façon beaucoup plus transparente. Il y a énormément de choses que l’on ignore. »
Et qui scrute à la loupe le CANAFE ? Mme Ianolla laisse échapper un rire. « C’est une excellente question, et je pense que mon rire en dit long. C’est le CANAFE qui surveille le CANAFE. Il n’y a pas d’organisme chargé de le surveiller. Il oeuvre indépendamment. »
À Ottawa, on explique toutefois qu’il existe « de nombreuses dispositions dans la loi visant à protéger » les droits et les protections relativement à la vie privée. « Leur mise en application par le CANAFE est soumise à l’examen du Commissaire à la protection de la vie privée », précise un porte-parole.
La loi et son application font actuellement l’objet d’un examen parlementaire. On nous assure que le gouvernement « tiendra compte des recommandations du comité » afin de « maintenir un équilibre entre la nécessité de dissuader et de détecter le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, d’une part, et la protection des droits constitutionnels et du droit à la vie privée des Canadiens, d’autre part ».