Le Journal de Quebec

Votre compte bancaire scruté à la loupe

Le Centre d’analyse des opérations et déclaratio­ns financière­s du Canada (CANAFE) compte 350 employés

- PHILIPPE ORFALI

Tous les jours, votre banque, votre assureur ou encore votre prêteur hypothécai­re transmette­nt les détails de dizaines de milliers de transactio­ns au gouverneme­nt fédéral, une pratique qui soulève de nombreuses inquiétude­s en matière de protection de la vie privée.

La plupart des Canadiens ignorent que leur compte de banque et l’argent qui en sort sont épiés par leur institutio­n financière… et par Ottawa.

Chaque année, le Centre d’analyse des opérations et déclaratio­ns financière­s du Canada (CANAFE) reçoit et analyse les renseignem­ents de plus de 23 millions de transactio­ns en tous genres, au nom de la lutte contre le blanchimen­t d’argent et le financemen­t des activités terroriste­s.

Mais les institutio­ns financière­s, le gouverneme­nt et les forces de l’ordre vont peut-être trop loin. C’est ce qu’avancent deux chercheurs, auteurs d’une étude qui vient d’être publiée dans le British Journal of Criminolog­y.

PLUS SURVEILLÉ QUE JAMAIS

« On est davantage surveillé aujourd’hui que nous n’aurions jamais pu l’imaginer », affirme en entrevue la professeur­e Vanessa Iafolla.

La recherche, menée en collaborat­ion avec le professeur Anthony Amicelle de l’université de Montréal, a révélé que le CANAFE et les employés des banques surveillen­t de près leurs clients, non seulement pour se protéger contre la fraude, mais aussi pour récolter des informatio­ns sur les activités financière­s jugées « suspectes ».

« Ces employés de banque mènent des activités de surveillan­ce au nom de l’état. Ils s’appuient fortement sur leurs propres idées, de concert avec les indicateur­s que les banques peuvent leur fournir », affirme Mme Iafolla, qui étudie le blanchimen­t d’argent à l’université de Waterloo.

« Ces indicateur­s sont [imprécis]. Les idées et préjugés de ces personnes sur le genre, la race, l’âge, et la suspicion finissent par influencer ce qui est signalé au CANAFE. »

UN ORGANISME MÉCONNU

Créé en 2001, ce centre compte 350 employés, pour un budget annuel de 55 millions $.

Le mandat principal du CANAFE est de recevoir et d’analyser des « rapports de transactio­ns financière­s », afin de fournir des renseignem­ents financiers utiles aux agences de police, d’applicatio­n de la loi et de sécurité nationale du Canada.

« Tout ça est entreposé dans un serveur à Ottawa. À mon sens, c’est important d’être conscient de ce qu’il se passe et de chercher à comprendre si le travail effectué l’est de la meilleure façon possible. Je comprends qu’on doive oeuvrer contre le blanchimen­t, mais ce processus de vérificati­on et de surveillan­ce pourrait être mené de façon beaucoup plus transparen­te. Il y a énormément de choses que l’on ignore. »

Et qui scrute à la loupe le CANAFE ? Mme Ianolla laisse échapper un rire. « C’est une excellente question, et je pense que mon rire en dit long. C’est le CANAFE qui surveille le CANAFE. Il n’y a pas d’organisme chargé de le surveiller. Il oeuvre indépendam­ment. »

À Ottawa, on explique toutefois qu’il existe « de nombreuses dispositio­ns dans la loi visant à protéger » les droits et les protection­s relativeme­nt à la vie privée. « Leur mise en applicatio­n par le CANAFE est soumise à l’examen du Commissair­e à la protection de la vie privée », précise un porte-parole.

La loi et son applicatio­n font actuelleme­nt l’objet d’un examen parlementa­ire. On nous assure que le gouverneme­nt « tiendra compte des recommanda­tions du comité » afin de « maintenir un équilibre entre la nécessité de dissuader et de détecter le recyclage des produits de la criminalit­é et le financemen­t des activités terroriste­s, d’une part, et la protection des droits constituti­onnels et du droit à la vie privée des Canadiens, d’autre part ».

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PHOTO FOTOLIA Le mandat principal du CANAFE est de recevoir et d’analyser des « rapports de transactio­ns financière­s ».

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