Les ignorants
Je voudrais faire suite à la chronique de mon confrère Richard Martineau, qui s’insurgeait hier avec son talent habituel contre l’intolérance, cette expression de l’ignorance qui se retrouve souvent sur les réseaux sociaux.
Contrairement à ce qu’il affirme, je ne crois pas que les ignares soient heureux et bien dans leur peau. Au contraire, on a plutôt affaire à des gens enragés, frustrés et qui éprouvent souvent un sentiment d’impuissance face à l’époque.
Dans un ouvrage récent, Le peuple contre la démocratie, Yascha Mounk, professeur à Harvard, analyse le phénomène du populisme dans nos sociétés occidentales. C’est le même populisme qui fait des ravages non seulement aux États-unis, mais aussi dans plusieurs pays européens dont la Suède, qui était depuis des décennies le paradis de la social-démocratie ouverte, tolérante et prospère.
Lors de l’élection législative dimanche, l’extrême droite a d’ailleurs réussi un score de 17 % alors qu’aucun parti n’est sorti majoritaire, ce qui va entraîner obligatoirement une coalition de la gauche modérée avec la droite modérée. Avec ses 17 % des voix, l’extrême droite établit un record dans l’histoire suédoise moderne.
RÉSEAUX SOCIAUX
Le professeur Mounk pour sa part croit que le populisme qu’exprime la révolte des ignares est la seule réponse des gens sous-éduqués à la complexité du monde actuel. Tous les paumés, les perturbés, les angoissés, les fragilisés incapables de rationaliser leur propre environnement sentent qu’ils existent grâce aux réseaux sociaux qu’ils inondent de leurs commentaires échevelés, alimentés également par des grands-gueules qui sévissent dans les médias et dont c’est le fonds de commerce.
Ignorants ou éduqués, nous sommes tous accablés par le matraquage de nouvelles plus délirantes et plus moralement déprimantes qui s’abattent sur nous. Rien ne nous est désormais épargné. Aucun massacre, aucune obscénité, aucune horreur n’échappent à notre attention. Dès que nous nous branchons par un clic, nous voilà projetés dans les recoins les plus sombres de la nature humaine.
Sans la connaissance qui permet de situer les actions humaines dans le contexte où elles se vivent, tout devient insensé, c’est-à-dire sans sens, incompréhensible, hors du réel.
CALAMITÉ
Avec ses 17 % des voix, l’extrême droite établit un record dans l’histoire suédoise moderne.
Alors nous inventons, nous nous adaptons, nous interprétons au gré de nos peurs, de notre capacité d’absorption, de notre colère et de nos déceptions.
L’ignorance est une calamité contrairement à que résume l’expression québécoise qui prétend que « ce qu’on ne sait pas ne nous fait pas mal ».
Comment expliquer aux jeunes en particulier qu’il n’y a pas de plus grand malheur que de vivre dans l’ignorance ? Sans la connaissance, l’intelligence roule à vide, la sensibilité s’effiloche à moins que nous soyons habités par une passion ou un talent qui métamorphose notre vie.
La complexité du monde actuel nous oblige à être armés intellectuellement, à nous appuyer sur la mémoire collective, à pouvoir discerner le bien du mal, la vérité du mensonge. C’est le savoir qui nous enseigne à « ne pas tuer la beauté du monde », selon la si belle chanson de Diane Dufresne.
La complexité du monde actuel risque de nous transformer en barbares si les lumières du savoir ne nous éclairent.