Mes étudiants, l’immigration et les mensonges d’une campagne
« TOUT SE PASSE COMME SI L’IMMIGRATION CONSTITUAIT LE RÉPERTOIRE IMAGINAIRE DE TOUTES NOS PEURS. »
L’annonce est arrivée le 6 septembre alors que j’enseignais : François Legault et la CAQ proposent de réduire le seuil d’immigration de 50 000 à 40 000 nouveaux arrivants par an. La même journée, j’apprenais qu’un de mes étudiants en francisation au cégep de Saint-laurent, un Syrien qui avait transité par le Liban pour arriver au Québec, venait de faire une crise cardiaque.
Une autre de mes étudiantes, parlant de la nouvelle, résumait la situation de manière simple : « Vous voyez bien que c’est stressant, la vie d’immigrant. » Le lendemain, c’est Jean-françois Lisée du PQ qui renchérissait en parlant des « taux d’échecs de 90 % » en francisation, tout en craignant pour la survie du français au Québec.
La réalité sur le terrain n’a pourtant rien à voir avec ce qu’en disent ces chefs de partis qui préfèrent les chiffres à ceux qui sont derrière.
La vaste majorité de mes étudiants fait face à des problèmes d’intégration qui ont peu à voir avec la question linguistique. C’est devenu un lieu commun depuis plusieurs décennies, mais la reconnaissance des diplômes reste un des principaux obstacles qu’ils doivent affronter.
Là-dessus, la tromperie est totale : non seulement le gouvernement du Québec classe les immigrants selon leur niveau de scolarité, mais en plus le Canada produit une « évaluation des diplômes d’études » qui ne sera jamais reconnue par les ordres professionnels une fois sur place.
INÉGALITÉS À L’EMPLOI
Cet été, j’ai eu dans mes classes des ingénieurs, un architecte, une ophtalmologiste, une chirurgienne, une travailleuse sociale… Tous sans presque aucune chance de pratiquer à nouveau leur métier. Ils ont pourtant été acceptés précisément pour cela, parce qu’ils étaient éduqués et spécialisés dans des professions en demande dans lesquelles ils rêvaient de continuer à oeuvrer.
Entendre le premier ministre Couillard souhaiter venir à bout des pénuries de main-d’oeuvre en région grâce à l’immigration, ou encore se féliciter du taux d’emploi des nouveaux arrivants est risible. Se rend-il seulement compte des sacrifices et des humiliations que doivent subir ceux qui ont un statut professionnel et souvent des années d’expérience quand ils comblent des emplois non spécialisés ? Pourquoi accepter des immigrants scolarisés, si c’est pour les humilier ensuite en refusant de reconnaître leur expertise ?
Et si ce n’était que ça… Cet été, un étudiant marocain m’expliquait : « Regardez en Ontario : il y a plein d’arabes sur les chantiers. Au Québec : zéro. » Et cela ne concerne pas que la construction : bien d’autres secteurs préfèrent engager « des Tremblay » à n’importe quel immigrant ou ce qui peut y ressembler.
Dans le train dysfonctionnel qui se tortille entre Québec et Montréal, j’ai été frappé récemment par le nombre d’affiches « nous embauchons » qui passaient dans le paysage. Le problème de main-d’oeuvre est devenu chronique dans certaines régions. Il est aussi démographique : alors que le Québec se déchire à propos de ses 50 000 immigrants, l’ontario en accueille près de 100 000 par année. Regardez le futur comme vous le voulez, mais nous en sortirons perdants si nous sommes incapables d’en recevoir davantage.
LA PEUR
Quant aux illuminés qui nous mettent en garde contre le déclin du français, ont-ils seulement regardé les chiffres qui montrent sa progression depuis les années 1970 ?
Ça devient même un problème pour mes étudiants qui, après avoir mis tant d’efforts pour l’apprendre, se voient souvent refuser des emplois parce qu’ils ne parlent pas anglais… Et encore, je n’aborde pas le fameux « spectre de l’islamisme » brandi par certains agi- tateurs et dont je n’ai encore jamais vu l’ombre dans une de mes classes.
Tout se passe comme si l’immigration constituait le répertoire imaginaire de toutes nos peurs : peur de la disparition, peur du déclin, peur de ce qui est différent... et que cet imaginaire autorisait tous les mensonges, toutes les inexactitudes, toutes les fausses promesses de tests farfelus de citoyenneté ou d’immigration en régions.
Elle est pourtant stressante, la vie d’un immigrant, à s’en crever le coeur, mais n’allez pas faire semblant qu’elle intéresse quelqu’un dans cette campagne.