Qu’est-ce qui a coulé l’ancien pilote des stars Normand Dubé ?
Il s’en est fallu de peu pour que la police et les procureurs échouent à le faire condamner
Le « pilote des stars » déchu est « passé près du crime parfait ». « Juste passé près », plaidait en juillet dernier Steve Baribeau, l’un des avocats qui viennent de faire reconnaître Normand Dubé coupable d’avoir saboté des lignes à haute tension avec son petit avion.
En point de presse ce jeudi après le jugement, le procureur n’a pas voulu revenir sur la preuve dans ce procès quasi secret, tenu majoritairement en huis clos en vertu d’une ordonnance pour protéger la « sécurité nationale ».
Il a toutefois insisté sur la complexité de l’enquête qui a permis de coincer Dubé. Un peu plus et la justice n’arrivait jamais à faire condamner le pilote, faute de preuves. La clé du casse-tête : des travailleurs forestiers qui se trouvaient au pied d’une ligne à 735 000 volts quand le pilote en a provoqué la panne, à Mirabel.
Un enquêteur d’hydro-québec a rencontré l’un d’entre eux, Benjamin Goyette, la journée même des méfaits.
« Il dit qu’en date du 4 décembre 2014, il coupait du bois non loin des pylônes et que vers 15 h, il a aperçu un petit avion blanc avec une ligne bleue passer au-dessus des lignes à haute tension, mentionne un affidavit de la Sûreté du Québec (SQ) produit dans le cadre de l’enquête. Immédiatement après le passage de l’avion, il a entendu trois détonations et vu trois lumières bleues, suivies d’un nuage de poussière de “rouille”. »
Sans ce témoin, l’ex-pilote aurait pu s’en sortir, reconnaît le procureur Baribeau. « C'est ça que M. Dubé, M. le Juge, n’avait pas prévu dans toute cette histoire-là : la présence de bûcherons qui communiqueraient avec Hydro-québec », dit-il dans sa plaidoirie prononcée à huis clos en juillet dernier, selon une transcription caviardée.
DÉTECTÉ AU RADAR
Avec les informations des travailleurs, la SQ s’est rendue dans les bureaux de NAV Canada, la compagnie qui coordonne les mouvements aériens au pays. La police a alors pu déterminer que l’appareil qui passait au-dessus des lignes au moment du sabotage était le petit Aerocruiser 450 de Dubé. Le ministère public n’était cependant pas au bout de ses peines : l’ex-pilote a presque réussi à faire exclure de la preuve les observations du témoin bûcheron. C’est que le 23 décembre, les policiers l’ont emmené au quartier général de la SQ pour une séance d’hypnose. Ils voulaient ainsi l’aider à se remémorer l’aspect précis de l’avion et son numéro d’identification sur la queue. Selon la jurisprudence qu’a brandie l’avocat de Dubé, le ministère public ne peut cependant pas déposer en preuve des confessions obtenues d’un témoin que la police a fait hypnotiser. La Couronne a finalement réussi à faire admettre les informations que Benjamin Goyette avait transmises aux enquêteurs avant la séance d’hypnose, sans toutefois pouvoir le faire témoigner en cour.
DES DÉBRIS SUR PLACE
Sur les lieux de deux des trois sabotages, l’enquête a aussi permis de trouver des débris d’objets ayant servi à provoquer les pannes. Ils sont au coeur de la preuve contre Dubé, mais en vertu de l’ordonnance de Justice Canada pour protéger la « sécurité nationale », nous ne pouvons pas les décrire.
Un autre élément a largement contribué à la condamnation de l’ancien pilote : l’invraisemblance de sa défense, présentée le 11 juillet dernier.
Dubé a alors reconnu avoir survolé les lignes concernées au moment où elles sont tombées en panne le 4 décembre 2014. Il a toutefois nié avoir posé les actes de sabotage pour lesquels il vient d’être reconnu coupable.
L’ex-pilote assure qu’il a survolé les lignes électriques en suivant un tracé figurant dans l’appareil de guidage par satellite (GPS) d’un client et ami, Steve Garrett. Un ami qui s’est suicidé… le premier jour du procès, en février.
Garrett avait déjà affirmé que les lignes d’hydro-québec, « c’est bien facile à faire sauter », avant de proposer une méthode pour les saboter, a déclaré Dubé en cour. Selon ses dires, Garrett lui aurait ensuite confié avoir tenté de passer à l’action en hélicoptère, sans succès.
Le pilote aurait alors décidé d’aller vérifier s’il pouvait trouver des traces de ces tentatives. « Cet itinéraire-là correspond aux points GPS du GPS de Steve Garrett que j’ai pris soin d’apporter avec moi », a assuré Dubé.
Le pilote n’avait cependant pas l’appareil en sa possession, et celui qu’il visait dans ses allégations a rendu l’âme. Le juge Chevalier a écarté ses explications du revers de la main.
UN GÉNIAL AUTODIDACTE
Le ministère public a démontré à quel point Dubé est un inventeur ingénieux, un autodidacte qui a mis au point son propre modèle d’avion. Il avait les moyens techniques de causer des pannes sur les lignes, a tranché le juge.
« Pas de cours d’ingénierie, quelqu’un qui a un secondaire V, et il a commencé à fabriquer des prototypes à l’âge de 20 ans, a plaidé Steve Baribeau. Il a vendu et fabriqué entre 100 et 105 avions […]. »
De son côté, son avocat Maxime Chevalier continue d’affirmer qu’au contraire, il serait incapable de causer des pannes de lignes à haute tension en utilisant la technique qu’a décrite le ministère public et que les médias ne peuvent pas expliquer.
« Une question semble non résolue : la faisabilité de ce qu’on reproche à M. Dubé », a-t-il confié à notre Bureau d’enquête en marge des audiences jeudi, au palais de justice de Saint-jérôme.
Le pilote, qui doit connaître sa peine le 17 octobre, se dit toujours innocent. « On va aller en appel, a déclaré Normand Dubé au Journal. Je vais suivre les traces de mon avocat. »
Dans tous les cas, le pilote déchu n’est pas au bout de ses peines. Hydro-québec le poursuit pour 30 M$ et il doit faire face en février prochain à un autre procès pour incendies criminels, menaces et harcèlement criminel.
Les victimes alléguées sont des fonctionnaires municipaux, des huissiers, des avocats, des douaniers et un homme d’affaires qui ont tous eu maille à partir avec lui.