Raymond Lévesque fête ses 90 ans
Même s’il souffre de surdité depuis plusieurs années, Raymond Lévesque n’a pas perdu sa passion des mots et son engagement social et politique. Le poète et auteur-compositeur qui célèbre aujourd’hui son 90e anniversaire de naissance continue d’écrire tous les jours et s’apprête même à publier un nouveau recueil de textes et de poèmes. Rencontre avec un monument de la chanson québécoise qui a toujours quelque chose à dire.
C’est avec un large sourire que Raymond Lévesque nous accueille dans une résidence pour personnes âgées de Verdun où il habite depuis quelques années. Se déplaçant désormais en fauteuil roulant, l’auteur de la célèbre chanson Quand les hommes vivront d’amour est visiblement heureux de recevoir de la visite et de pouvoir discuter de sa carrière et de sa vision du monde.
Accompagné de l’actrice et chanteuse Marie-josée Longchamps, sa bonne amie qui perpétue son oeuvre en interprétant ses chansons, M. Lévesque nous a accor- dé un long entretien au cours duquel il a notamment évoqué ses débuts à Paris et sa rencontre avec Charles Aznavour, mais aussi ses anciens problèmes d’alcoolisme qui, selon lui, ont ruiné sa carrière.
Vous allez avoir 90 ans dimanche. Comment vous portez-vous ? « Je vais très bien. On est toujours étonné de pouvoir vivre aussi vieux ! » (rires)
Vous n’avez pas perdu la passion de l’écriture. Qu’est-ce qui vous inspire ? « J’écris tous les jours. Et je suis toujours engagé. J’écris des textes sur la société et la civilisation. »
Vous préparez d’ailleurs un recueil de textes et de poèmes ? « Oui, le livre va s’intituler Mensonges et Conditionnement. C’est un recueil de textes sur le mensonge qu’il y a dans le monde. Nous sommes tous victimes du mensonge et du conditionnement. On se fait voler nos vies. Les gens ne s’en rendent pas compte parce qu’ils sont élevés comme ça et qu’ils pensent que c’est ça l’existence. Mais on nous oblige à acheter nos vies. Les banquiers se sont emparés du monde. »
Vous avez souvent parlé du rêve comme moteur de la création artistique. Qu’est-ce qui vous fait encore rêver ? « Je rêve d’un monde plus juste. Un monde dans lequel nous ne serions plus des esclaves. C’est moins pire que c’était avant, mais on est encore des esclaves, car on nous oblige à acheter nos vies. L’argent est encore maître du monde et maître de nos vies. Ce n’est pas possible de vivre sans argent de nos jours. Toute la société est basée sur l’argent. Il y a des profiteurs et des gens qui possèdent beaucoup d’argent qui, en fin de compte, nous exploitent. »
Laquelle de vos chansons vous rend le plus fier ? « C’est une chanson qui s’intitule Dans la tête des hommes. Je considère que c’est une de mes bonnes chansons. Je l’ai écrite il y a longtemps, quand j’étais en Europe. C’est d’abord Pauline Julien qui l’a chantée. Elle était une très bonne artiste. Elle avait un sens social et un sens de la justice. »
Charles Aznavour est décédé il y a quelques jours. Quel souvenir gardez-vous de lui ? « J’ai eu l’occasion de bien le connaître quand il était à Montréal avec son confrère Pierre Roche. Ils avaient un duo, Roche et Aznavour, et ils étaient venus chanter dans une boîte à Montréal qui s’appelait Le Faisan doré. Ensuite, quand je suis arrivé en France, je suis allé voir Aznavour. Il a toujours été très gentil pour moi, mais il m’a bien dit que c’est un métier difficile et injuste. Ce ne sont pas les plus talentueux qui réussissent dans ce métier. Ce sont les plus débrouillards. J’ai une fille, Marie Marine, qui chante très bien. Et je lui ai dit d’aller voir les gens et qu’elle trouve une façon de les intéresser. À date, elle n’a pas encore percé parce qu’elle fait des chansons très personnelles et très particulières. Aujourd’hui, les chanteuses à la mode chantent n’importe quoi. »
Quels artistes québécois ont été les plus importants pour vous ? « Quand j’ai commencé à travailler comme busboy dans des cabarets à Montréal, dans les années 1930, j’ai eu la chance de rencontrer Fernand Robidoux, qui était une grande vedette à l’époque. Je lui avais dit que j’écrivais des chansons et ça l’avait intéressé. Il les a écoutées et il en a choisi quelquesunes qu’il a commencé à chanter. Il est vraiment le premier à avoir encouragé les auteurs-compositeurs. Nous n’étions pas nombreux à l’époque. Mais Robidoux nous a beaucoup aidés. »
Quand vous avez écrit la chanson Quand les hommes vivront d’amour, j’imagine que vous étiez loin de vous douter qu’elle deviendrait aussi célèbre ? « Bien sûr que non. On ne peut pas prévoir ce genre de chose. »
Mais malheureusement, le sujet de la chanson reste encore très actuel 60 ans plus tard… « C’est évident que tant que l’argent va régner, il n’y aura pas d’amour. C’est l’argent qui fausse tout. Ça fausse la vision que les gens ont des choses et de la vie. L’argent est le plus grand fléau qu’il y aura eu dans l’histoire depuis au moins 2000 ans. Ça crée de l’injustice sociale, de la possession et souvent des guerres. Mais tout cela va s’effacer avec le temps. On va connaître un autre monde. Les jeunes d’aujourd’hui vont avoir des idées et vont changer les choses. Je demeure optimiste. »
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes auteurs compositeurs ? « Ce que je conseille aux jeunes, c’est d’arrêter de chanter leurs peines d’amour et des choses personnelles. C’est d’ailleurs ce que j’ai déjà conseillé à ma fille Marie-marine, qui écrit aussi des chansons. »
Si c’était à recommencer, que feriez-vous de différent ? « J’arrêterais de boire. Je ne bois plus depuis un bon moment, mais ç’a été un vrai problème pendant longtemps. Ç’a ruiné ma carrière. L’alcoolisme est une maladie qui est très répandue. Beaucoup de gens de toutes les classes et de toutes les professions peuvent en souffrir. C’est une forme d’obsession mentale. Et c’est très long et difficile de s’en sortir. »
Quels sont les plus beaux souvenirs de votre carrière ? « Ce sont les cinq années passées à Paris. J’ai vécu de belles années là-bas. Je travaillais, mais dans les boîtes à chansons. Mais je n’ai jamais eu accès aux grandes salles. J’ai toujours été un artiste de boîtes à chansons. Comme Pauline Julien. Quand elle était à Paris, on travaillait dans les mêmes boîtes à chansons. »
Que voulez-vous qu’on retienne de votre oeuvre ? « J’ai publié quelques livres qui, j’espère, vont rester longtemps. Mes chansons aussi. J’espère qu’on va se souvenir de moi même si je n’ai pas eu une carrière très brillante. À cause de mes problèmes avec l’alcool, je me suis fermé des portes et j’ai éloigné des gens. C’est un de mes grands regrets. »