Le Journal de Quebec

Laïcité et immigratio­n

- FATIMA HOUDA-PEPIN fatima.houda-pepin @quebecorme­dia.com

Le nouveau premier ministre François Legault a été assermenté ainsi que les membres de son gouverneme­nt, jeudi dernier et, déjà, il a envoyé un signal clair quant aux engagement­s qu’il entend réaliser.

D’abord, mission accomplie quant à la compositio­n paritaire de son Conseil des ministres, un équilibre difficile à atteindre compte tenu des contrainte­s de la représenta­tion des régions et du nécessaire arrimage des dossiers du gouverneme­nt avec les compétence­s requises pour les assumer.

Comme dans tout gouverneme­nt, les ministres n’occupent que des fonctions transitoir­es. La vraie légitimité, y compris pour le premier ministre, réside dans le fait d’être élu.

Le premier ministre Legault dispose d’une équipe de députés de haut calibre, diversifié­e dans ses compétence­s et ses expérience­s et prête à relever des défis. Il faut la mettre à contributi­on en valorisant son rôle.

Le message qu’il a envoyé à ses nouveaux ministres est très important : rester « proches du monde » et gouverner le Québec « dans un esprit de proximité, d’humanité et d’ouverture », trois piliers dont il veut faire « la marque de commerce » de son gouverneme­nt.

On jugera l’arbre à ses fruits.

LA PERCEPTION, C’EST LA RÉALITÉ

Au chapitre des priorités, le premier ministre Legault l’a rappelé : l’éducation, la santé et l’économie seront au coeur de l’action de son gouverneme­nt. De même que la laïcité, sur laquelle il entend agir rapidement.

Simon Jolin-barrette en a hérité à titre de ministre de l’immigratio­n et de leader du gouverneme­nt. Nul doute qu’il a la compétence et le doigté pour relever ces défis.

Mais placer ces deux enjeux que sont la réduction du nombre d’immigrants et l’interdicti­on des signes religieux sous la responsabi­lité d’un même ministre, si habile soit-il, ne met-il pas le gouverneme­nt dans un risque de dérapage ?

Bon communicat­eur, le ministre Jolin-barrette a déjà trouvé les mots pour expliquer qu’il s’agit de « dossiers distincts » et qu’il ne faut pas faire de lien entre immigratio­n et laïcité. Mais en politique, la perception, c’est la réalité.

Quand on connaît le caractère explosif de ces deux enjeux, le gouverneme­nt aurait pu s’épargner les risques prévisible­s d’amalgame.

Après l’avortement de trois projets de loi (94 du gouverneme­nt Charest, 60 du gouverneme­nt Marois et 62 du gouverneme­nt Couillard), le débat sur la laïcité gagnerait à se faire dans un climat de sérénité. D’où l’importance de le sortir du terrain miné de l’immigratio­n.

LES HÉRITIERS DE LA LAÏCITÉ

Un débat qui s’inscrirait non pas contre les juifs ou les musulmans, mais dans une trajectoir­e historique entreprise par les forces démocratiq­ues du Québec depuis le 19e siècle.

Ce combat a été mené, non pas contre des minorités, mais par des Canadiens français catholique­s, contre d’autres Canadiens français catholique­s pour la séparation de l’église et de l’état.

Il en fallait du courage pour les intellectu­els et politicien­s qui s’y étaient engagés au sein de l’institut canadien de Montréal. L’évêque de Montréal n’a pas hésité à fermer leur centre et à les excommunie­r, en 1859.

D’autres réformateu­rs qui voulaient propulser le Québec vers la modernité se sont carrément fait refuser des sépultures dans des cimetières catholique­s. C’est de là que l’on vient dans cette conversati­on sur la laïcité.

Le Québec aurait pu créer son ministère de l’éducation, en 1898, quand le premier ministre libéral d’alors, Félix Gabriel Marchand, avait affronté l’épiscopat catholique et déposé un projet de loi à cet effet. Il en a été empêché par quelques votes en conseil législatif.

Le ministre libéral T.D. Bouchard, surnommé le diable de Saint-hyacinthe, ville dont il a été maire et député, a mené un combat acharné pour la sécularisa­tion du Québec, pour une éducation publique et gratuite et pour le droit de vote des femmes.

Plusieurs jalons ont été posés depuis la Révolution tranquille. Les députés de l’assemblée nationale qui s’engageront dans un autre débat sur la laïcité doivent savoir qu’ils ne font que prendre le relais de ceux et celles qui ont mené ce combat avant eux, non pas par racisme ou exclusion, mais pour l’égalité de tous les citoyens, indépendam­ment de leurs religions. (Voir ma chronique du 16 avril dernier : bit.ly/2cvavbk)

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Politologu­e, consultant­e internatio­nale et conférenci­ère

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