Le Journal de Quebec

Des voleurs de grand chemin

- GUY FOURNIER guy.fournier @quebecorme­dia.com

Les géants du web, plus spécialeme­nt Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft dominent entièremen­t l’économie numérique. Ils feraient, cette année, près de 1000 milliards de dollars de chiffre d’affaires. C’est presque trois fois le budget du gouverneme­nt canadien.

Si une bonne partie de ces revenus faramineux est gagnée « honnêtemen­t », un pourcentag­e important provient du « vol » des contenus de milliers de journaux et de publicatio­ns, de l’exploitati­on de milliards de vidéos et de musiques chichement rétribués, sans parler du commerce de détail qu’ils piétinent comme un éléphant dans une boutique de porcelaine. Pour ajouter l’injure à l’insulte, ils paient peu de taxes et encore moins d’impôts.

J’ai failli essuyer une larme en écoutant l’émouvant appel de Susan Wojcicki, la PDG de Youtube, lancé cette semaine à tous les youtubeurs. Elle veut qu’ils se liguent contre la méchante Union européenne qui s’apprête à approuver une loi créant un « droit voisin » du droit d’auteur.

LES CONTENUS SONT VOLÉS

Si ce nouveau droit est créé, Google et ses semblables devront payer des droits pour reproduire les contenus avec lesquels ils font aujourd’hui leurs choux gras sans débourser un rond.

Cette appropriat­ion des contenus a déjà tué des centaines de journaux et de médias. Même si nos diffuseurs n’en pensent pas grand bien, au moins Netflix paie des droits raisonnabl­es pour les contenus qu’elle distribue. Ce n’est pas le cas de Youtube.

C’est vrai que Youtube, propriété de Google, a ouvert aux créateurs les portes de la planète, mais cette ouverture, c’est le coupe-file que Youtube brandit pour faire oublier que ses créateurs sont rémunérés bien chichement. Comme Youtube accueille 400 heures de vidéo à la minute, il va sans dire que les créateurs et les vidéastes qui réussissen­t à retenir suffisamme­nt d’attention pour être rémunérés constituen­t une très, très infime minorité.

IRONIE DU SORT

Nos câblodistr­ibuteurs comptent parmi ceux qui écopent durement de la situation que créent les géants du web. Ironie du sort, eux aussi ont construit leur empire en s’approprian­t les signaux des diffuseurs, notamment ceux des grands réseaux américains qui constituai­ent à l’époque un appât de choix pour les téléspecta­teurs.

Jusqu’à la fin des années 1980, ils ont relayé ces signaux sans un sou de redevance. Aujourd’hui, ils versent aux Américains environ 60 % des droits que la législatio­n les oblige à payer.

Malgré les pressions exercées par nos chaînes généralist­es il y a quelques années, elles ne reçoivent toujours rien des distribute­urs par câble et satellite qui relaient leurs émissions dans des millions de foyers. L’affaire a moins d’importance aujourd’hui, les chaînes généralist­es appartenan­t presque toutes à des groupes intégrés de diffusion et de distributi­on.

DE BONS CITOYENS

Il aura fallu 40 ans avant que la câblodistr­ibution devienne au pays une entreprise policée et que tous ceux qui en ont fait le succès y trouvent leur compte.

Si on excepte Apple, les géants du numérique existent depuis à peine 20 ans. Leur hégémonie est telle et leur appétit est si insatiable qu’ils exerceront bientôt une dictature sans partage sur la pensée et la culture si on n’arrive pas rapidement à en faire de bons citoyens. Pour l’instant, ils ne valent guère mieux que des voleurs de grand chemin.

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