Le Journal de Quebec

Chronique d’un fiasco annoncé

- JOSÉE LEGAULT josee.legault@quebecorme­dia.com @joseelegau­lt

C’était écrit dans le ciel. Après avoir mis le grappin en 2016 sur la chaîne québécoise de quincaille­rie RONA, le colosse américain Lowe’s entreprend son grand délestage. Normal. Quand un crocodile s’offre un festin de grenouille­s, difficile pour elles d’échapper à l’inévitable.

Au Canada, Lowe’s fermera plus d’une vingtaine de magasins RONA, dont neuf au Québec. Prétextant une « réévaluati­on stratégiqu­e » – un grand classique des entreprise­s prédatrice­s –, Lowe’s se défait sans broncher d’une partie de ce qui fut déjà un des fleurons de l’entreprene­uriat québécois.

Même si la chose était prévisible, Philippe Couillard et sa ministre de l’économie, Dominique Anglade, s’étaient réjouis de la vente de RONA. « Ce n’est pas dans l’intérêt du gouverneme­nt de bloquer la transactio­n », disait Mme Anglade. Ajoutant même que le Québec en sortirait gagnant. Mieux valait être sourd que d’entendre ça.

Parce que cette vente s’inscrivait dans un largage répété de grandes entreprise­s québécoise­s, j’ai analysé la vente de RONA sous toutes ses coutures. Ma conclusion : le maintien des sièges sociaux au Québec n’intéressai­t plus nos « grands décideurs » politiques et financiers.

ABANDON

Pour mieux le comprendre, il faut aussi lire Mise à niveau, la biographie de Robert Dutton, ex-grand patron de RONA, fraîchemen­t publiée chez Origo. Infatigabl­e défenseur de RONA et de ce qui était son puissant écosystème québécois d’employés, d’expertise et de fournisseu­rs, M. Dutton y dénonce l’abandon de RONA par les pouvoirs publics :

« Lowe’s a bénéficié d’événements facilitate­urs qui ont rendu l’acquisitio­n de RONA non seulement plus réalisable, mais aussi plus attrayante. Avec la sortie d’investisse­ment Québec, la vente de Noble Trade, le rachat des franchisés, l’aval de la Caisse [de dépôt et placement] et l’appui enthousias­te du gouverneme­nt [Couillard], les difficulté­s et les complexité­s se sont aplanies comme par magie devant Lowe’s. […] On ne me convaincra jamais que Lowe’s a sauvé RONA. RONA a sauvé Lowe’s. »

Bref, nos « grands décideurs », dont le gouverneme­nt Couillard et la Caisse de dépôt et placement, ont pavé la voie royale à Lowe’s. D’où la joie initiale de Mme Anglade devant la perte de RONA.

NATIONALIS­ME ÉCONOMIQUE

En 2016, le Parti québécois de Pierre Karl Péladeau s’y était opposé. Idem pour la CAQ de François Legault. Ils avaient dénoncé la perte de plusieurs sièges sociaux québécois aux mains d’intérêts étrangers, dont RONA était le dernier à ce jour. Des pertes d’emplois, disaient-ils, suivraient.

Deux ans plus tard, le dommage est confirmé, mais François Legault est premier ministre. Contrairem­ent à Philippe Couillard, le nationalis­me économique est sa marque de commerce. Pour les prochaines fois, il lui incombera donc de stopper cet encan délétère pour l’entreprene­uriat québécois.

Car « encan » il y a. Comme le dit la chanson du même nom de Félix Leclerc : « Tiens, un Américain. C’est légal. Il est dans son droit. Une fois, deux fois, trois fois. Vendu ! Installez-vous monsieur. »

La chanson se termine toutefois sur un appel à tenir tête : « Il ne faut pas que mon histoire finisse là. » Espérons que ce sera entendu.

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Deux ans après la vente de RONA au colosse américain Lowe’s, le dommage est confirmé.
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