AMOUREUX DU PATRIMOINE
Fervent nationaliste, Gaston Cadrin regrette que ce courant n’ait pas été davantage porté autant sur le patrimoine que sur la langue. « Tout ça se tient, pourtant », dit ce fondateur du GIRAM, organisme bénévole qui se pose en chien de garde du patrimoine et de l’environnement depuis 35 ans.
Le chemin qui conduit chez M. Cadrin, à Lévis, est parsemé de pièces détachées provenant d’un vieil orgue abandonné et qui ont été transformées en oeuvres d’art. De sa maison perchée sur les falaises, le long du fleuve, ce géographe de formation profite d’une vue magnifique sur ce cours d’eau et ses berges, sur lesquels il a beaucoup écrit et réfléchi, soucieux de leur conservation.
Afin d’entreposer ses outils et tout l’équipement qui lui sert à l’entretien du terrain parsemé d’arbres, M. Cadrin a reconstruit un vieux hangar datant de 200 ans, qu’il a déniché à Saint-charles. Pour le transporter, il a extrait chaque pièce, qui a été numérotée, puis a tout remis en place. Il lui a fallu remplacer certaines pièces trop détériorées, mais la structure a été préservée dans l’ensemble.
Il a aussi récupéré les vieilles pierres d’un ancien couvent détruit, derrière le bâtiment principal qu’il a fait construire en s’inspirant des maisons anciennes, sans oublier une vieille laiterie. « Des gens vont en Europe et disent à quel point c’est beau, mais ils ont des réglementations là-bas, dit-il. Ils ont à coeur, ils ont une certaine fierté pour protéger leur patrimoine bâti, alors qu’ici, c’est plus compliqué. »
RACINES
Né à Saint-vallier dans Bellechasse, M. Cadrin a grandi sur une ferme. Très jeune, il a pris l’habitude de demander à ses parents de ne pas jeter les vieux meubles. « Je leur disais : gardez-lesmoi », dit celui qui s’est impliqué de façon plus intensive dans la sauvegarde du patrimoine dans les années 70. Il affirme avoir été influencé par des livres sur le patrimoine, comme ceux de son vieil ami Michel Lessard, notamment.
« Le patrimoine, c’est notre histoire, nos racines, c’est un peu pour ça que ça m’a rejoint. Ça allait avec la montée du mouvement souverainiste, et j’étais membre du Rassemblement pour l’indépendance nationale (parti fondé par Pierre Bourgault qui sera dissous en 1968 avec un appel à se joindre au PQ). »
Or, à ses yeux, le PQ ne s’est pas plus occupé du patrimoine que les autres partis. Il considère que, pendant que les péquistes étaient au pouvoir, « nos campagnes québécoises se sont dégarnies de leur patrimoine ».
Du temps où il était enseignant en histoire et en géographie, M. Cadrin organisait des excursions avec ses étudiants dans les villages sur la rive sud. À Beaumont, il a lui-même restauré une maison datant du 18e siècle, et qui existe toujours. Il a fait de même avec une demeure de Lévis.
« Aujourd’hui, on refait le même circuit et les maisons anciennes ont disparu », mentionne celui qui s’oppose régulièrement à des demandes de démolition sur le territoire de Lévis. Ses implications dans la cause du patrimoine lui ont d’ailleurs valu, en 1999, le prix Robert-lionel-séguin remis par l’organisme sans but lucratif Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ).
PARC MAGNIFIQUE
Plus récemment, M. Cadrin s’est manifesté, avec le GIRAM, pour tenter d’empêcher la Ville de détruire la Maison Rodolphe-audette, qui a malheureusement fini sous le pic des démolisseurs.
Le GIRAM a fait de même pour le Château Beauce de Sainte-marie.
Les municipalités, déplore-t-il, n’ont souvent pas l’information, la préparation, ni les fonds pour se préoccuper vraiment du patrimoine et pour le protéger. « Les élus, le patrimoine, ça ne les préoccupe pas tant que ça. »
C’est de ce constat et d’un réflexe de vigilance qu’est né, en 1983, le Groupe d’initiatives et de recherche appliquées au milieu (GIRAM), qui vise à promouvoir les valeurs patrimoniales, environnementales et le développement durable. « Certains nous ont reproché de trop critiquer, mais il y a beaucoup de dossiers auxquels on a contribué », souligne M. Cadrin, qui est heureux d’avoir pu contribuer à sa manière à la sauvegarde de plusieurs sites, et tout cela en tant que bénévole.
Le géographe pense notamment à la préservation et l’aménagement de la Pointe de la Martinière, espace vert de 125 hectares qui est protégé et qui fait l’objet de divers aménagements depuis quelques années. Le GIRAM a oeuvré en collaboration avec quelques partenaires dans l’espoir de « préserver ces terres pour les générations futures ». M. Cadrin rappelle qu’à la fin des années 70, il y a eu des plans pour y installer un port méthanier. M. Cadrin souligne l’intervention dans ce dossier de l’ancien maire Jean Garon. « C’est grâce à sa volonté qu’on a aujourd’hui un aussi beau parc », dit-il.
En revanche, il regrette de n’avoir pu rien faire pour empêcher la construction d’une petite centrale hydroélectrique au parc des Chutes-de-la-chaudière. Il espère toujours également voir le Vieux-lévis et le Vieux-lauzon reconnus un jour comme arrondissements historiques. « Cela permettrait de mieux encadrer les demandes de démolition et de protéger ces ensembles patrimoniaux à long terme. »
À trois reprises, M. Cadrin s’est présenté à des élections municipales, dont une fois dans l’équipe du regretté Jean Garon. À chacune de ces tentatives, cependant, il a encaissé des défaites électorales. « Je pense que je suis perçu comme un peu trop rebelle, mais je suis parlable pourtant », lance-t-il.
« LA DÉMOCRATIE N’EST PAS VIVANTE »
M. Cadrin a aussi fondé un mouvement, « Lévis Autrement », qui est devenu le parti Renouveau Lévis et qui a fini par mourir dans l’oeuf. Il se désole aujourd’hui de constater que « la démocratie n’est pas vivante », à Lévis, en l’absence de toute opposition. À peine une poignée de gens assistent désormais aux séances du conseil municipal, et personne à l’interne ne peut surveiller l’administration actuelle.
« Les gens ont peut-être l’impression que tout va bien, mais il y aurait des questions à poser sur le transport collectif et le patrimoine. » Des questions que M. Cadrin n’hésitera pour sa part jamais à poser, comme le démontre son parcours de vie.