Le Journal de Quebec

Bof ! Le français, à quoi ça sert ?

C’est le message que nous renvoie le premier ministre de l’ontario, Doug Ford.

- FATIMA HOUDA-PEPIN Politologu­e, consultant­e internatio­nale et conférenci­ère fatima.houda-pepin@quebecorme­dia.com

Au détour d’une mise à jour économique, il sabre deux institutio­ns majeures pour les Franco-ontariens, le Commissari­at aux services en français et le projet tant attendu d’une université francophon­e. C’est comme s’il disait aux Franco-ontariens : « Vous n’avez qu’à parler anglais. »

FORD : LE FRANCOPHOB­E

Loin d’être motivée par une rigueur budgétaire, cette décision arbitraire est plutôt l’oeuvre d’une idéologie du mépris à l’égard des citoyens francophon­es de sa province et de la Francophon­ie canadienne dans son ensemble.

Cela ravive de vieilles blessures pour des communauté­s au destin singulier. Fiers de leur héritage canadien-français, de leur langue et de leur culture, ils revendique­nt leur droit à la différence, en tant qu’ontariens, à part entière.

Le premier ministre Doug Ford, qui n’est au pouvoir que depuis cinq mois, n’a pas attendu sa mise à jour économique du 14 novembre dernier pour montrer de quel bois il se chauffe.

Dès la compositio­n de son gouverneme­nt, en juin dernier, il avait aboli le ministère des Affaires francophon­es, le ramenant à un simple Office des affaires francophon­es avec Caroline Mulroney comme ministre déléguée.

Ce n’est donc pas étonnant qu’il abolisse d’un seul trait, et sans consultati­ons préalables, le Commissari­at aux services en français, l’institutio­n à laquelle il était censé rendre des comptes et qui a été gagnée de haute lutte en 2007.

L’organisme est indépendan­t et relève de l’assemblée législativ­e. Il a pour mandat de veiller à ce que le gouverneme­nt et ses organismes affiliés offrent des services de qualité, en français, aux population­s francophon­es. C’est trop lui demander.

Le Commissari­at emploie une dizaine de personnes et dispose d’un modeste budget d’environ 3 millions de dollars. Une somme négligeabl­e sur un déficit de 15 milliards de dollars.

Abolir le seul organisme dédié aux francophon­es et dissoudre sa mission dans celle de l’ombudsman, c’est condamner les Franco-ontariens à l’invisibili­té, voire à la négation de leurs droits comme minorité de langue officielle. Un recul inacceptab­le.

Le deuxième projet phare porté par l’assemblée de la francophon­ie de l’ontario (AFO) et le Regroupeme­nt des étudiants franco-ontariens (REFO) avait été annoncé, en 2017, par le gouverneme­nt de Kathleen Wynne et son budget estimé à 83,5 millions de dollars sur sept ans.

DES COMMUNAUTÉ­S DEBOUT

Bien sûr, Doug Ford n’est pas le premier à exprimer autant de mépris à l’égard des francophon­es de sa province. D’autres avant lui l’ont fait, et ce qui se dessine actuelleme­nt au Nouveau-brunswick n’est guère reluisant.

C’est en Ontario que le gouverneme­nt avait interdit l’enseigneme­nt en français, en 1912, une mesure discrimina­toire qui n’a été abrogée qu’en 1944, grâce à la mobilisati­on des Franco-ontariens et à la contestati­on de la FAO.

C’est aussi cette lutte courageuse qui a mené à l’adoption, en 1968, de la Loi sur les services en français, malgré le climat d’hostilité et de tensions linguistiq­ues qui prévalaien­t à cette époque.

La loi reconnaiss­ait enfin le caractère patrimonia­l et culturel des communauté­s franco-ontarienne­s et leur rôle important dans l’histoire de l’ontario, et faisait obligation au gouverneme­nt de leur offrir des services en français.

Le Commissari­at que Doug Ford vient d’abolir est précisémen­t l’institutio­n chargée de l’applicatio­n de cette loi.

Une décision arbitraire qui vient fragiliser des communauté­s dont le poids démographi­que ne cesse de baisser, étant passé de 4,3 à 4,1 % entre 2011 et 2016.

La bonne nouvelle, c’est que les Franco-ontariens sont à nouveau debout pour leurs droits. Comme ils l’ont fait lors de leur bataille épique de 1997, pour empêcher la fermeture de leur seul hôpital universita­ire francophon­e, l’hôpital Montfort, devenu un symbole de leur résilience.

On leur doit respect et solidarité. Non, M. Ford, le français, ce n’est pas marginal. C’est une langue qui restera vivante tant qu’il y aura des francophon­es et des francophil­es pour l’aimer, la défendre, la faire rayonner et la promouvoir.

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Le premier ministre de l'ontario Doug Ford
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