Doug Ford est un sous-trump à la sauce canadian
Politologue, auteure, chroniqueuse politique
Doug Ford est ce qu’il est. Le premier ministre de l’ontario est un populiste de droite. Un inculte fier de l’être. Un indécrottable affairiste. Un unilingue anglophone sans le moindre intérêt pour la langue de Gabrielle Roy. Bref, du sous-trump à la sauce canadian. Considérant le personnage, comment s’étonner de son dernier diktat ?
Prétextant des compressions budgétaires, il trucide le projet d’une première université francophone en Ontario. Pour les Franco-ontariens, le coup est brutal. Il ordonne aussi la fermeture du Commissariat aux services en français et son transfert au Bureau de l’ombudsman.
Pour Doug Ford, la francophobie rencontre ici son intérêt partisan. Le tout, livré dans une stratégie évidente de polarisation dite de wedge politics. Une polarisation qui se décline sur deux axes : anglo-franco et libérale-conservatrice. Cette crise, il l’a manufacturée volontairement. Son objectif est triple. 1) Montrer à la Ford Nation, sa base électorale, qu’il est maintenant le vrai boss.
2) Le faire en s’en prenant aux communautés franco-ontariennes dont le poids démographique d’à peine 4 % ne cesse de diminuer depuis des décennies. Il en rajoute même. À ses yeux, les Franco-ontariens ne sont plus qu’une minorité parmi d’autres.
3) Forcer les premiers ministres du Canada et du Québec à constater leur propre impuissance à pouvoir le faire reculer. Justin Trudeau s’est dit « déçu » tout en sachant qu’il ne peut rien changer. Alors, que fait-il ? Il joue la carte partisane.
À moins d’un an de l’élection fédérale, M. Trudeau s’en prend durement aux conservateurs d’un océan à l’autre qu’il accuse, non sans raison, d’intolérance.
En visite hier chez Doug Ford, François Legault a bien tenté d’exprimer son opposition. Il savait toutefois, comme M. Trudeau, qu’il lui est impossible de stopper son homologue ontarien. Bienvenue au Canada. Sur le fond des choses, l’affront fait aux Franco-ontariens est abject, mais sans surprise. La francophobie n’a rien de nouveau au pays.
N’empêche que cette crise est aussi une illustration de plus de la réalité suivante. Depuis la défaite référendaire serrée du Oui en 1995, au-delà d’être un bel aquarium de votes à prendre pour les partis fédéraux, le Québec n’est plus un joueur majeur de la fédération.
AQUARIUM DE VOTES
Le rapport de forces entre le Québec et le reste du Canada s’est gravement affaibli. Cette régression politique est le fruit combiné de l’intransigeance fédérale, de l’aplaventrisme du PLQ face à Ottawa et du déclin continu du PQ et de la « menace séparatiste ».
Par effet d’entraînement, les francophones hors Québec, aussi courageux soient-ils, ont écopé plus durement encore. Minoritaires, leur pouvoir politique s’étiolant d’autant plus. Au Québec, où les francophones sont majoritaires, se montrer solidaires des Franco-ontariens est certes un devoir.
Le vrai problème n’en disparaît pas pour autant. Dans le Canada post-1995, la thèse des « deux peuples fondateurs » n’est plus qu’une relique du passé enfouie au plus profond de la mémoire des francophones de plus de 50 ans.
Pendant ce temps, contrairement au sort des francophones hors Québec, les Anglo-québécois, comme il se doit, jouissent d’une panoplie complète d’institutions et de droits. Leur langue continue même ici de concurrencer le français comme langue d’intégration des immigrants.
De Westmount à Vancouver, les crises d’apoplexie ont pourtant fusé pour une simple motion de l’assemblée nationale sur le « Bonjour- Hi ! » Mais sur le sort des Franco-ontariens ? Les bruits de criquets dominent. Comme quoi, loin de souffler sur les « braises de l’intolérance », les francophones sont plutôt ceux qui la subissent.