Les fées ont encore soif
Le dépôt d’accusations de viol et d’attentat à la pudeur contre Gilbert Rozon expose à nouveau la plaie toujours béante de la violence sexuelle. Dans la foulée du #moiaussi et la chute d’hommes puissants, harceleurs ou agresseurs en série, le vrai débat commence à peine.
Car derrière ces idoles déchues se cache la persistance de la violence contre les filles et les femmes. Sous toutes ses formes – verbale, physique, sexuelle ou meurtrière –, le besoin tordu qu’ont certains hommes de dominer en est le principal carburant. Grâce à la parole des femmes, le nombre de dénonciations et de plaintes a certes augmenté.
Notre système de justice peine toutefois à répondre au caractère spécifique d’une violence qui s’exerce sans témoin. Pis encore, on n’en voit que la pointe de l’iceberg. Dans les médias, pas une journée ne passe sans qu’on y trouve une histoire de viol, de harcèlement, de violence conjugale ou de meurtre d’une femme.
TOUS LES JOURS
À preuve, ces quelques exemples tirés d’une montagne de titres à l’avenant. « Un jeune coupable de meurtre sur sa petite amie ». « Il parle du sexe de sa patiente durant l’examen ». « Le corps de la victime (conjointe) aurait été jeté à la poubelle ». « Militaires expulsés pour inconduite sexuelle ». « Un violeur met la faute sur les films pornos ». « Le corps d’une Québécoise (Christine St-onge) retrouvée morte au Mexique ». « Un médecin condamné pour crimes sexuels ». « Canada : 76 % des victimes d’homicides domestiques sont des femmes ». « Un violeur veut une courte peine pour garder son emploi ». « Son agresseur et prof de karaté aurait fait d’autres victimes ». Etc.
Ces cas sont publics parce qu’il y a eu accusation ou condamnation. Or, 5 % seulement des agressions sexuelles sont dénoncées à la police pendant que 3 plaintes sur 1000 débouchent sur une condamnation. Ces chiffres ahurissants donnent la pleine mesure de l’ampleur réelle du phénomène.
Dans un tel contexte, la députée péquiste Véronique Hivon a raison. Entre autres pistes, la création d’un tribunal spécialisé en violences sexuelles et conjugales contribuerait à mieux outiller le système judiciaire. Le premier ministre François Legault s’est d’ailleurs dit « ouvert » à examiner le dossier.
MALGRÉ LES PROGRÈS
Une meilleure éducation des garçons et des hommes au respect des femmes urge aussi. Heureusement, tous les hommes ne sont pas violents, mais la plupart des violents sont des hommes.
Comme par hasard, cette année marque le retour au théâtre de la pièce Les fées ont soif, de l’auteure Denise Boucher. En 1978, le clergé catholique s’était durement battu en vain pour faire interdire la pièce. Il était outré par sa puissante dénonciation de la triade classique d’archétypes imposée aux femmes : la Vierge statufiée, la mère et la putain. Son fil conducteur : la violence contre les femmes et leur refus de continuer à la subir.
Depuis, grâce au féminisme, l’égalité des femmes a progressé. La violence contre les femmes demeure néanmoins. Eh oui, 40 ans plus tard, les fées ont encore soif.