Le Journal de Quebec

Joseph Facal

- JOSEPH FACAL joseph.facal@quebecorme­dia.com

C’est aujourd’hui, à Paris, qu’aura lieu la première de la pièce de théâtre Kanata de Robert Lepage.

On se souvient de la controvers­e qui avait conduit à l’annulation de sa présentati­on chez nous.

Une poignée d’autochtone­s et leurs sympathisa­nts exigeaient un droit de regard sur l’attributio­n des rôles et sur le contenu.

C’était une tentative de contrôle, donc de censure, déguisée sous des motifs prétendume­nt vertueux.

SUBJECTIVI­TÉ

L’affaire était survenue au moment où le spectacle SLAV sur l’esclavage, critiqué par des gens qui ne l’avaient jamais vu, était aussi annulé.

Ces cas se multiplien­t et prennent souvent une tournure loufoque, comme celui de la chanson de Noël Baby, It’s Cold Outside.

Richard Martineau notait avec raison que les principaux responsabl­es du recul de la liberté sont moins les deux douzaines d’hurluberlu­s qui protestent que les invertébré­s qui abdiquent à la moindre pression.

La question de fond est : pourquoi la censure d’une oeuvre d’art est-elle inacceptab­le, sauf dans des cas rarissimes ?

Une oeuvre d’art n’est pas la réalité. C’est une représenta­tion personnell­e, donc subjective, de la réalité telle que la ressent l’artiste.

Comme ce n’est pas la réalité, comme il y a forcément une distance entre l’oeuvre et la réalité, il devient illogique, insensé de lui reprocher de ne pas refléter fidèlement tel ou tel aspect du réel, ou que la distributi­on des rôles ne soit pas faite selon des quotas censés correspond­re à la « vraie société ».

C’est aussi parce qu’une oeuvre d’art n’est jamais un reflet objectif du réel que l’on donne à l’artiste, au nom de cette distance, la liberté, s’il le souhaite, de nous provoquer, de nous choquer, voire de faire scandale.

C’est pour cela que le propos de l’artiste ne saurait être évalué avec les mêmes critères qu’on utilise pour juger un propos qui se prétend objectif, qu’il soit journalist­ique ou

Est-ce un hasard si Robert Lepage, le plus grand créateur québécois vivant, trouve, en France, la liberté de faire ce qu’il ne peut faire chez nous ?

scientifiq­ue.

L’artiste a-t-il tous les droits ? Non, il y a déjà deux balises légales amplement suffisante­s : l’incitation à la haine raciale ou à la violence.

DOCTRINE

Est-ce un hasard si Robert Lepage, le plus grand créateur québécois vivant, trouve, en France, la liberté de faire ce qu’il ne peut faire chez nous ? Non, ce n’est pas un hasard. En enfermant l’individu dans son ethnie d’origine qu’il consacre officielle­ment, le multicultu­ralisme canadien « racialise » les relations sociales.

Il conduit inévitable­ment à ce que tout soit de plus en plus examiné sous l’angle des considérat­ions raciales.

Si chacun voit tout à travers un prisme ethnique, on encourage le repli communauta­ire, la rivalité entre les groupes ethniques, et on décourage le dialogue authentiqu­e.

Le multicultu­ralisme canadien est l’institutio­nnalisatio­n d’un « racialisme », qui sombre parfois dans le racisme, mais avec la particular­ité étonnante de se justifier au nom de l’antiracism­e.

Le plus tragique n’est pas qu’il soit véhiculé par une poignée de jeunes incultes, mais qu’il soit devenu le socle légal de tout l’édifice canadien.

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