Le Journal de Quebec

Fatima Houda-pépin

- FATIMA HOUDA-PEPIN fatima.houda-pepin @quebecorme­dia.com

Rien ne va plus entre le Canada et la Chine depuis que Meng Wanzhou, dirigeante de la multinatio­nale Huawei, a été arrêtée, le 1er décembre dernier, à l’aéroport de Vancouver, pour violation alléguée de sanctions américaine­s contre l’iran.

Les médias chinois ne décolèrent pas. La Chine est sous le choc de voir sa star mondiale des télécommun­ications, menottes aux poignets, forcée de subir un « procès spectacle ». Un affront insupporta­ble.

LA COLÈRE DE L’EMPEREUR

La Chine des grandeurs ne supporte pas d’être humiliée. Déjà, quand le roi George III y avait envoyé son diplomate, Lord Macartney, en 1792-1793, pour y ouvrir une ambassade, la mission fut un désastre.

L’angleterre était au firmament mondial de la première révolution industriel­le, alors que la Chine rebutait les pays occidentau­x par ses traditions archaïques.

Mais les pays occidentau­x convoitaie­nt intensémen­t les richesses du Céleste Empire, sauf qu’aucun d’entre eux n’avait réussi à y planter officielle­ment son drapeau.

La Chine d’alors ne pouvait pas concevoir d’établir des liens, à égalité, avec des pays étrangers. Pendant des siècles, l’idée même de la diplomatie, au sens où nous l’entendons, lui était totalement étrangère.

L’empire du Milieu avait son propre système de relations internatio­nales. Tout État qui aspirait à jouir de la civilisati­on chinoise ne pouvait être que vassal, c’est-à-dire qu’il devait payer des tributs à l’empereur et lui prêter allégeance.

La saga de Lord Macartney va entrer dans l’histoire comme un ressac diplomatiq­ue pour l’angleterre et comme une leçon pour les Occidentau­x.

Dans sa réplique au monarque anglais, l’empereur K’ien-long, de la brillante dynastie mandchoue, régnante pendant près de quatre siècles, a d’abord rappelé au roi d’angleterre qu’il était son subordonné.

Pas question, donc, de lui donner accès aux bienfaits de la civilisati­on chinoise en accréditan­t son diplomate britanniqu­e auprès de la Cour de Pékin, alors qu’il était porteur de visées bassement mercantile­s.

C’est « contraire aux institutio­ns du Céleste Empire […] On ne gagnerait donc rien par la présence de votre ambassadeu­r », avait-il tranché (Lung Chang, La Chine à l’aube du XXE siècle, 1962).

Autrement dit, la Chine ne s’abaisserai­t pas au point d’établir des relations officielle­s avec un pays barbare.

L’HUMILIATIO­N

La crise de Huawei dans laquelle s’est pris le Canada nous renvoie à cette Chine des grandeurs, qui a sa propre conception du monde et qui ne supporte pas d’être humiliée.

Là où plusieurs voient un simple procès d’extraditio­n, les Chinois voient une instrument­ation de la justice canadienne pour masquer la guerre commercial­e que livre Donald Trump au reste du monde et à la Chine, en particulie­r.

S’attaquer à Huawei, qui ose défier les multinatio­nales technologi­ques américaine­s, c’est freiner son élan et nuire au développem­ent de ses équipement­s 5G, donc aux intérêts économique­s de la Chine au plan mondial.

Considéran­t les liens privilégié­s que les dirigeants de Huawei ont avec les hauts lieux du pouvoir chinois, s’attaquer à ce fleuron économique, c’est s’at- taquer aux intérêts de la Chine entière. Un camouflet qui ne saurait être toléré.

Dès lors, pour la Chine, tous les moyens sont bons pour exprimer sa colère : arrestatio­n de deux Canadiens en Chine, Michael Spavor et Michael Kovrig, soupçonnés « d’activités menaçant la sécurité nationale » et boycottage d’entreprise­s et de produits américains et canadiens.

À moins d’un changement de cap du côté de la Maison-blanche, la tourmente du Canada risque d’être longue, et ses impacts aussi.

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Politologu­e, consultant­e internatio­nale et conférenci­ère
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Meng Wanzhou, directrice financière du géant chinois Huawei, 12 décembre 2018

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