Le Journal de Quebec

Claude Villeneuve

- CLAUDE VILLENEUVE claude.villeneuve@quebecorme­dia.com @vclaude

Apprendre que Gilbert Rozon ne fera face qu’à une accusation de viol et une autre d’attentat à la pudeur après l’avalanche de dénonciati­ons publiques dont il avait été l’objet, ç’a eu l’effet d’une douche froide pour plusieurs personnes.

Par-dessus le marché, le roi déchu de l’humour ne sera confronté en cour criminelle à aucune des personnes qui lui ont reproché des comporteme­nts survenus alors qu’il bénéficiai­t de l’immunité des puissants. Les prises de parole de plus d’une dizaine de femmes et de quelques hommes n’auront pas de suite, a-t-on l’impression.

Le message envoyé aux victimes d’agressions sexuelles est terrible, rappelle-t-on, à juste titre. A-t-on jeté la présomptio­n d’innocence aux vidanges et brisé une carrière trop vite, se demande-t-on d’un autre côté ? C’est une question pertinente à se poser.

L’un dans l’autre, un fait demeure. C’est que la libération de parole découlant du #Moiaussi est salutaire et que la discussion publique autour du cas Rozon est nécessaire.

IL FAUT EN PARLER

La réflexion collective que nous devons poursuivre quant à l’ensemble du spectre des inconduite­s sexuelles dépasse le strict cadre judiciaire pénal, où il faut évidemment prouver la culpabilit­é d’un accusé hors de tout doute raisonnabl­e avant de le priver de sa liberté. Les règles de procédure criminelle n’ont pas pour fonction de fixer à partir de quand on a le droit de dénoncer certains comporteme­nts toxiques.

Pour les victimes, la prise de parole peut être le premier pas vers une forme de réparation, par la simple réappropri­ation du récit d’un événement traumatiqu­e. Le viol est une négation de l’humanité, alors que la capacité de mettre des mots sur ce que l’on ressent est le plus humain de tous les pouvoirs.

AU-DELÀ DE LA JUDICIARIS­ATION

La judiciaris­ation est rarement l’objectif qui est recherché en soi par les gens qui dénoncent. Les nouveaux traumatism­es qui accompagne­nt la publicisat­ion des histoires n’en font certaineme­nt pas partie non plus. Dans l’absolu, ce que les personnes veulent, c’est d’être entendues et reconnues dans la légitimité de leur douleur. La sanction par l’institutio­n judiciaire en serait la méthode la plus formelle qui soit, mais on constate à quel point il est ardu de l’obtenir.

Les discussion­s visant à créer des forums mieux adaptés pour traiter les plaintes d’agressions sexuelles et la réflexion sur de nouvelles formes de justice réparatric­e sont importante­s également. Il faut toutefois garder en tête qu’il restera toujours très ardu de faire une preuve hors de tout doute d’événements survenus dans le passé entre deux personnes.

Il faut aussi discuter publiqueme­nt de ces histoires pour cheminer ensemble. Pour que d’autres personnes qui souffrent se sentent moins seules et pour que ceux qui ont fait souffrir ou qui pourraient le faire réfléchiss­ent. Il faut le faire également pour continuer de délibérer sur ce qui sépare l’acceptable de ce qui ne l’est pas.

À la fin, le mouvement #Moiaussi ne débouchera pas sur beaucoup de déclaratio­ns de culpabilit­é par des tribunaux, mais le fait pour des milliers de personnes de s’exprimer ensemble sur leur vécu leur aura redonné leur place au centre de leur histoire. Bien plus qu’un tribunal populaire, ce fut l’occasion de faire changer la honte de camp et de faire reculer, lentement mais sûrement, certains comporteme­nts inacceptab­les.

Juste pour ça, il faut continuer d’en parler.

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Analyste politique et rédacteur
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La prise de parole peut être le premier pas vers une forme de réparation.

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