Publier la liste des conducteurs en état d’ébriété pour les dissuader ?
La Sûreté du Québec étudie la possibilité de prendre exemple sur les policiers de l’ontario
La Sûreté du Québec étudie la possibilité d’imiter les services policiers ontariens, qui publient les noms des conducteurs interceptés en état d’ébriété comme outil de dissuasion pour contrer le fléau de l’alcool au volant.
« On est à y réfléchir et à faire des consultations, notamment au plan juridique. Il y a plusieurs enjeux dont il faut tenir compte. On vérifie ce qu’il est possible de faire ici en étudiant ce qui se fait ailleurs au pays », dit l’inspecteur Guy Lapointe.
« L’objectif, si on le fait, sera la prévention. On ne voudrait pas une approche de Name to Shame. »
Au début du mois, les policiers de York et de South Simcoe ont emboîté le pas à d’autres services du sud de l’ontario, qui diffusent sur internet l’identité des automobilistes arrêtés avec les facultés affaiblies.
« C’est clair qu’il faut que ça change », a dit le chef de police de York, Eric Jolliffe, disant ne plus pouvoir se contenter de campagnes de prévention.
Certains corps policiers ontariens diffusent les noms de tous les conducteurs accusés, d’autres seulement de ceux qui ont causé une collision ou qui sont des récidivistes de l’alcool au volant.
PAS LES VILLES
Si la SQ dit étudier la chose, les corps policiers municipaux contactés assurent ne pas songer à prendre exemple sur l’ontario. Que ce soit à Montréal, Québec, Laval ou Longueuil, on rejette d’emblée l’idée de publier les identités des automobilistes pris en défaut.
« On publie des noms dans le cadre d’enquêtes où il faut localiser des suspects ou des victimes. On a plusieurs conditions à respecter, explique Emmanuel Anglade, de la police de Montréal. Notre objectif n’est pas de porter préjudice aux gens. »
À la police de Longueuil, on préfère mettre l’accent sur la prévention et la sensibilisation.
Sans en faire un cheval de bataille, l’organisme Mother Against Drunk Driving (MADD) n’est pas contre nommer les contrevenants.
« Si la mesure aide à dissuader quelqu’un à prendre le volant par peur d’être embarrassé, la mesure en vaut la peine », avance Marie-claude Morin, porte-parole de MADD.
TROP FRILEUX
Me Mark Bantey et le sénateur Pierre-hugues Boisvenu croient toutefois que le Québec est « un peu frileux » quand il est question de vie privée.
Selon l’avocat expert en droit des médias, la non-divulgation de l’identité est une ligne directrice respectée par les forces policières qui ne relève pas d’un ordre juridique. « Il s’agit d’informations publiques », soutient-il.
L’avocat criminaliste Michel Dorval considère néanmoins que le « public shaming » n’a jamais rapporté.
« Je trouve ça stupide. C’est une stig- matisation dont on n’a pas besoin ».
« J’ai de la difficulté à croire que ça dissuaderait », estime aussi Thierry Rassam, président de SOS Ticket.
« Je ne suis pas certain que ce soit respectueux de la présomption d’innocence », ajoute Hubert Sacy, directeur général d’éduc’alcool.
« Je ne serais pas enthousiaste qu’on applique cette méthode ici, à moins qu’on en prouve l’efficacité avec des données, ajoute-t-il. Là, on pourrait avoir un débat. »
À cet effet, la police du Grand Sudbury, qui publie depuis plus de cinq ans les noms des contrevenants, reconnaît que cela n’a pas eu l’effet escompté.
« On espérait que ça dissuade les gens, mais les chiffres demeurent stables, indique Kaitlyn Dunn, porte-parole de ce service. On ne peut pas dire que ç’a eu un impact direct. »