Le Journal de Quebec

Le petit sournois et le grand naïf

- RICHAD LATENDRESS­E richard.latendress­e@quebrecorm­edia.com

La fin d’année approche et, couplé à l’esprit de paix du temps des Fêtes, il est temps d’admettre qu’un des grands coups de 2018 aura été d’éviter une guerre nucléaire entre la Corée du Nord et les États-unis. Ce n’est quand même pas rien!

Le sommet de Singapour entre Donald Trump et Kim Jong-un s’inscrit dans la lignée des face-à-face mémorables du 20e siècle : NixonMao, Reagan-gorbatchev, Menahem Begin-anouar el-sadate et quelques autres. Le sentiment, à voir les deux hommes pendant et après leur rencontre, était qu’une page du livre imaginaire des tragédies potentiell­es de l’humanité avait été tournée.

On pouvait souffler, ce conflit promettant de faucher la vie de centaines de milliers de personnes en quelques éclairs n’allait pas avoir lieu. Six mois plus tard, surtout parce que le président américain nous a fait traverser depuis bien d’autres tempêtes, on n’y pense presque plus.

Pourtant, il y a de quoi se demander si le fameux tête-à-tête du mois de juin ne finira pas par être davantage associé à la rencontre Chamberlai­n-hitler en novembre 1938, lorsque le dictateur allemand a essentiell­ement conclu qu’il avait le feu vert pour ses folles visées d’expansion territoria­le.

ÉPROUVANTE, LA VIE À LA NORD-CORÉENNE

Le leader nord-coréen n’entretient pas de comparable­s projets de conquête. Il s’en tient à vouloir assurer la survie de son régime, survie qui passe à ses yeux par un contrôle étouffant du quotidien de ses concitoyen­s et par le maintien de son arsenal nucléaire et de missiles balistique­s. On peut rêver en couleurs, mais il n’a rien cédé de sérieux sur ce plan au cours des six derniers mois.

Prenez la tyrannie imposée aux Nord-coréens. Un plus grand nombre de journalist­es et de visiteurs, toujours très surveillés, ont reçu la permission de visiter le royaume ermite. Ce qu’ils y croisent, essentiell­ement à Pyongyang, la capitale, c’est une population laborieuse, toujours en mouvement, systématiq­uement prête à louanger le « paradis » qu’est leur pays et l’homme suprêmemen­t exceptionn­el qu’est leur dirigeant.

Rien à voir avec la réalité ! Le Bureau de coordinati­on des affaires humanitair­es de L’ONU a demandé au début du mois plus de 100 millions de dollars d’aide afin d’assurer la survie de six à dix millions de Nord-coréens en 2019. Pas tout à fait le signe d’un système qui sait prendre soin de son monde.

D’autre part, le départemen­t d’état du président Trump a dressé lundi dernier un portrait accablant de la vie sous Kim Jong-un : « Les violations des droits de la personne demeurent parmi les pires au monde et comprennen­t les exécutions extrajudic­iaires, le travail forcé, le viol, les avortement­s forcés et d’autres violences sexuelles ». Méchant paradis !

« LITTLE ROCKET MAN », TOUJOURS AUSSI ARROGANT

Quant à la menace que constituen­t Kim et les militaires qui l’entourent, elle ne s’est pas atténuée d’un iota. Le dernier rapport de l’agence internatio­nale de l’énergie atomique précise que « le développem­ent du programme nucléaire de la Corée du Nord et les déclaratio­ns du régime à ce sujet suscitent de graves inquiétude­s ».

Scott Snyder, chercheur au Council on Foreign Relations, relève que les agences d’espionnage et de renseignem­ent en sont venues à la conclusion que « la Corée du Nord a poursuivi les travaux sur ses programmes nucléaire et de missiles en dépit des engagement­s de Kim à l’égard du développem­ent économique ».

Trop tôt pour déduire que Donald Trump s’est fait avoir par Kim Jongun ? Le président américain, inflexible, se donne du temps. « Nous ne sommes pas pressés », affirmait-il via Twitter vendredi. « Il y a un formidable potentiel de réussite économique dans ce pays et Kim Jong-un le sait mieux que quiconque. »

Pour contrecarr­er le danger nucléaire nord-coréen, Trump parie sur le désir qu’aurait Kim d’améliorer le sort de ses compatriot­es. À voir la vie là-bas et ce à quoi servent les ressources du pays, on se demande bien d’où le président américain peut tirer un espoir aussi naïf.

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