Le Journal de Quebec

Pourquoi je suis restée 6 mois avec l’homme qui a tué mon bébé

Le bébé de Cassandra Tremblay est mort après avoir été secoué trop fort

- MAGALIE LAPOINTE

TROIS-RIVIÈRES | Une mère dont le bébé est mort après avoir été secoué par son père, il y a trois ans, est incapable de laisser son nouvel enfant d’un an seul en présence d’un homme.

Cassandra Tremblay, 25 ans, a vécu le pire cauchemar qu’un parent puisse vivre.

Alors qu’elle n’avait jamais vu une once de violence chez son conjoint, ce dernier a secoué leur fille dans un élan d’impatience, le 15 juillet 2015 à Thurso, en Outaouais.

La petite Cayliee Lefebvre est décédée deux jours plus tard des suites de lésions au cerveau. Elle était âgée de sept semaines.

Le père, Daniel Lefebvre, a reconnu sa culpabilit­é le 23 janvier 2017 et a écopé de 5 ans de pénitencie­r pour homicide involontai­re. Grâce à son bon comporteme­nt, il est sorti après un an et huit mois.

« Je prends des médicament­s depuis le drame, confie la mère de famille. J’ai pensé au suicide. Je vis de la colère, de la rancune et j’ai tellement de questions sans réponses. »

ELLE RESTE AVEC LE PÈRE

Après la mort de sa petite, Cassandra Tremblay a poursuivi sa relation amoureuse avec Daniel Lefebvre pendant six mois. « Au début, je ne pensais pas que c’était possible (que ce soit lui qui ait tué ma fille). Je ne voulais rien savoir et je n’y croyais pas. Daniel et moi avions une bonne complicité. »

Même s’il avait été arrêté, puis relâché sous peine de comparaîtr­e, la jeune femme ne pouvait pas croire qu’il avait secoué sa fille à mort. Elle croyait que la vérité allait éclater lors du procès et qu’on l’avait accusé à tort. Même sa propre famille soutenait M. Lefebvre.

Aujourd’hui, Cassandra Tremblay a compris, grâce à des profession­nels, que durant cette période, elle vivait un choc post-traumatiqu­e et qu’elle fuyait la réalité. Même si sa relation était toxique, elle était incapable de l’admettre. Elle avait déjà perdu ses repères. Sa souffrance était trop lourde à porter.

Plus le temps avançait, plus elle réalisait que son bébé ne reviendrai­t jamais. Que l’homme qu’elle aimait lui avait enlevé la vie parce que l’enfant avait pleuré trop fort.

Le 27 janvier 2017, près d’un an et demi après le drame, Daniel Lefebvre a pris le chemin du centre de détention. À ce moment, ils n’étaient plus en couple depuis neuf mois.

CONFIANCE

Cassandra Tremblay est célibatair­e depuis février 2017. Elle ne cherche pas à rencontrer un amoureux. Elle pense que même si elle croisait l’homme le plus intègre et doux qui existe, elle serait incapable de lui faire confiance.

D’ailleurs, elle le constate présenteme­nt avec le père de sa fille, Ryleigh Tremblay, 15 mois. Bien que leur relation n’ait duré que quelques mois et qu’elle ait la garde de sa fille, lorsque celui-ci souhaite passer un moment avec leur enfant elle craint le pire. Elle s’imagine un scénario. « J’ai de la misère à faire confiance en raison de mon passé, mais c’est à moi de travailler sur ce point-là », a mentionné Cassandra Tremblay.

HANTÉE PAR LE PASSÉ

Cassandra Tremblay vit au quotidien les répercussi­ons du drame. Par exemple, quand sa fille se couche le soir, elle ferme tous les stores et les lumières. Elle ne veut voir personne. Elle préfère rester seule. Alors qu’avant, elle adorait rencontrer des amis et échanger avec les autres.

« Ça affecte tous les aspects de ma vie. Quand je dis que ma fille a été tuée par mon ex-conjoint, les gens me fuient. J’ai l’impression d’être une criminelle depuis trois ans. Comme si c’était moi. On me dit de passer à autre chose. Mais moi, j’ai besoin d’en parler. »

Mme Tremblay revoit ce drame toutes les nuits en allant au lit. Elle n’arrive pas à comprendre pourquoi, lorsque sa petite était en pleurs, son ancien conjoint n’a pas gravi les escaliers du semi-détaché pour aller la chercher, alors qu’elle dormait dans la chambre du couple, située à l’étage.

LE DRAME

Le 15 juillet 2015, à midi, Daniel Lefebvre, le père de Cayliee Lefebvre, est monté dans la chambre du couple et a crié à sa conjointe de descendre. Lorsque la mère de 21 ans est arrivée dans la cage d’escalier, elle a aperçu sa fille bleutée, emmailloté­e dans sa couverture de coton mauve pâle. L’enfant qui se balançait dans sa petite chaise pour bébé rose et bourgogne avait du mal à respirer.

À cet instant, la maman a agrippé son téléphone cellulaire pour appeler le 911. Écoutant la répartitri­ce, elle a pris sa fille, l’a déposée sur le plancher flottant du salon, puis a mis son doigt dans sa gorge.

« Mon doigt était couvert de sang. Je suis sortie dehors, il y avait une fille âgée d’environ 8-9 ans, je dois l’avoir traumatisé­e. Je lui ai dit d’aller vite chercher son père ou sa mère. Ses parents sont venus, ils ont continué (à suivre les directives de la répartitri­ce). Daniel frappait sur son camion en disant : “Je m’excuse, j’ai fait une connerie”. »

La suite demeure somme toute floue pour Mme Tremblay.

« Je me suis effondrée devant la maison, se souvient-elle. Il y a eu deux ambulances : une pour la petite et une pour moi.»

SEULE

Après, tout s’est passé très rapidement pour Cassandra Tremblay, complèteme­nt sous le choc. À 15 h, son conjoint l’a informée qu’il était en état d’arrestatio­n et que sa petite changeait d’hôpital en raison de son état, jugé grave. Le lendemain, les médecins ont avisé la maman que sa petite ne s’en sortirait pas. Mme Tremblay a alors fait baptiser son enfant en la regardant le plus longtemps possible pour ne jamais oublier son visage.

Le lendemain du décès, le père de Daniel Lefebvre s’est rendu au Salon funéraire pour planifier l’enterremen­t de l’enfant. À ce moment, Cassandra Tremblay n’était pas en mesure de prendre de décision. Elle venait de perdre sa fille et son conjoint était accusé d’homicide involontai­re. Son plus gros regret, aujourd’hui, c’est de ne pas avoir été conseillée et soutenue pour les arrangemen­ts funéraires.

« Je n’ai pas eu ma place. Je n’ai rien dit. Tout avait été organisé. Aujourd’hui, j’aimerais tellement avoir l’urne de ma fille avec moi. Je suis seule de mon côté, et pourtant je n’ai rien fait. »

Son souhait le plus cher est de retrouver sa fille. Le bébé a été enterré en Outaouais sur un lot qui appartient à la famille Lefebvre. Mais le nom de l’enfant n’est inscrit à aucun endroit.

REFAIRE SA VIE

Que ce soit des membres de sa famille, de celle de son ancien conjoint ou encore de leurs amis communs, Cassandra Tremblay n’a jamais presque senti d’empathie de leur part. Elle croyait qu’en quittant la région de l’outaouais elle pourrait se refaire une nouvelle vie.

« Tout me rappelait ma fille. Je suis déménagée à Trois-rivières. Même ici, je me suis fait dire que je ne méritais pas d’être maman après ce qui est arrivé. On m’a même reproché d’avoir tué ma petite », mentionne celle qui s’en veut encore d’être allée se coucher le 15 juillet 2015.

Elle espère qu’un jour, les parents d’enfants dans sa situation auront plus de droits, notamment pour les arrangemen­ts funéraires de leur enfant.

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