Le Journal de Quebec

Le crédit hypothécai­re n’est pas un guichet automatiqu­e

- Emmanuelle Gril

Brigitte et Normand sont tentés de demander une marge de crédit hypothécai­re. Ils aimeraient s’en servir pour faire des rénovation­s et payer leurs dettes. Mais est-ce vraiment une bonne idée d’utiliser sa maison comme un guichet automatiqu­e ?

Ce couple dans la cinquantai­ne commence à voir le bout du tunnel d’un point de vue financier : leurs enfants sont grands et vivent en appartemen­t, et dans trois ans, l’hypothèque sera payée ! Une bouffée d’oxygène dont ils aimeraient bien profiter, notamment en obtenant une marge de crédit hypothécai­re.

Plusieurs de leurs amis l’ont fait et en parlent avec enthousias­me. L’un d’entre eux s’est acheté un véhicule récréatif, alors que deux autres en ont profité pour rénover leur propriété et partir en voyage. La tentation est forte de leur emboîter le pas. Mais avant de se lancer, ils décident de demander conseil.

CRÉDIT RÉPANDU

La marge de crédit hypothécai­re est très répandue, et plus de trois millions de Canadiens en ont une. Sur ce nombre, 25 % ne paient que l’intérêt, selon un sondage réalisé récemment par l’agence de consommati­on en matière financière du Canada. Or, selon la même étude, un quart des emprunteur­s auraient des difficulté­s à effectuer leurs paiements mensuels si ceux-ci augmentaie­nt de 99 $. C’est dire si l’équilibre financier des ménages ne tient parfois qu’à un fil.

Brigitte et Normand ont acheté leur maison il y a 17 ans, au coût de 110 000 $. Elle vaut maintenant 250 000 $, et avec seulement 17 000 $ à rembourser sur l’hypothèque, ils ont un potentiel d’emprunt de 145 000 $, soit 60 % de la valeur marchande de leur propriété. Le taux moyen affiché pour les marges de crédit hypothécai­re est actuelleme­nt de 5 %.

Le couple a plusieurs dettes à rem- bourser : marge de crédit, prêt personnel, prêt-auto et carte de crédit, pour un total de 42 200 $, ce qui représente des paiements de 950 $ chaque mois. Leur calcul est simple : ils empruntent 145 000 $, en utilisent une partie pour rembourser leurs dettes, et consacrent le reste de cette somme pour rénover leur cuisine et leur salle de bain, un projet qu’ils caressent depuis longtemps.

ÉCONOMIQUE, MAIS DANGEREUX

« Le couple a entendu dire que ce type de marge est un instrument de crédit économique, mais dangereux. Il est donc venu nous demander conseil », dit Pierre Fortin, syndic autorisé en insolvabil­ité, président de Jean Fortin et Associés.

Pourquoi économique ? Parce que le taux d’intérêt est bien inférieur à celui qu’on peut obtenir sur un prêt traditionn­el. Mais à manipuler avec précaution, car vous n’êtes obligés de rembourser que les seuls intérêts chaque mois sur la somme empruntée. À ce rythme-là, Brigitte et Normand pourraient ne jamais voir s’éteindre leur dette… « On risque un endettemen­t chronique et d’arriver à la retraite avec une maison encore hypothéqué­e et beaucoup moins de revenus pour la payer. Et puisqu’il s’agit de taux variable, les hausses d’intérêts peuvent aussi jouer de très mauvais tours », prévient Pierre Fortin.

Par exemple, s’il empruntait le montant maximum de 145 500 $, le couple devrait verser 960 $ par mois pendant 20 ans, et 600 $ par mois... jusqu’à la fin des temps s’il ne débourse que les intérêts ! Pour un prêt de 75 000 $ (paiement des dettes et rénovation­s), cela représente­rait des versements de 1415 $ par mois sur cinq ans, de 485 $ par mois sur 20 ans. Pour les intérêts seulement : 310 $ par mois.

Le syndic leur a plutôt recommandé de remettre leurs projets de rénovation à plus tard, et de commencer par consolider leurs dettes (excluant le prêt-auto, à 0 % d’intérêt) avec leur marge de crédit. En cinq ans, à raison de 550 $ par mois, ils auront remboursé leurs 29 200 $ de dettes et économisé 5000 $ en intérêts, comparativ­ement aux taux auxquels ils sont soumis actuelleme­nt.

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